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biographe digne de lui ? Je n’ai garde de méconnaître les services déjà rendus par les deux volumes où M. Barnett Smith a accumulé des matériaux mal dégrossis, ou par le petit livre où M. G. W. Russell a résumé avec une concision savoureuse la carrière du grand libéral, ou par tant d’autres ouvrages dont j’ai fait mon profit. À cette heure il me paraît toutefois que l’on ne peut guère tenter qu’une esquisse rapide de cette spacieuse carrière, un modeste crayon de cette physionomie. On voudra bien ne chercher que cela dans ces quelques pages où j’ai surtout essayé de rendre un suprême hommage au plus illustre des fils de l’Angleterre politique en ce siècle.


I

William-Ewart Gladstone naquit à Liverpool le 29 décembre 1809, le troisième fils d’un grand négociant. Ce fut à l’ombre du grand nom de Canning que Gladstone vécut ses premières années ; c’est des lèvres éloquentes de cet homme d’Etat qu’il prit ses premières leçons de politique et qu’il reçut ces principes d’un torysme idéalisé qui devaient faciliter son émancipation finale en le préparant à la conception du progrès et à l’intelligence des réformes, mais aussi en retarder l’achèvement complet en fournissant à son intellect subtil et à sa casuistique déliée mille prétextes spécieux pour demeurer dans le parti conservateur libéral. Après un bref séjour chez un ecclésiastique, qui préparait aux grandes écoles et chez lequel il trouva Stanley, le futur doyen de Westminster, tout de suite subjugué par la haute intelligence de sort nouveau camarade, Gladstone entra à Eton. On sait ce qu’étaient ces grands collèges, celui-là surtout, où l’élite de la jeunesse aristocratique de l’Angleterre se délassait de ses exercices athlétiques presque continus en consacrant parfois quelques heures à l’étude des classiques anciens.

Gladstone n’était point un athlète. Il s’adonna au travail, sans autre distraction que te canotage. Jamais il ne devint un scholar, au sens technique du mot en Angleterre, c’est-à-dire un homme capable d’écrire avec quelque facilité en grec ou en latin, de composer des odes dans le goût de celles de Sapho ou des imitations d’Aristophane et de traduire en vers iambiques ou trochaïques quelque fragment de poème moderne. Ce qu’il apprit, ce fut à se délecter des grandes œuvres de cette incomparable