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en des temps déjà lointains, on plantait l’arbre de la liberté, eux, ils plantaient, avec des acclamations et des prières, l’arbre de 1& loyauté et de la royauté, l’arbre de Wilhelmine, le Wilhelminaboom ; et c’est de proche en proche, sur cette terre féconde, toute une forêt qui se lève. Mais, dès que l’ombre s’étendait, toutes les allées, toutes les pelouses de cette opulente contrée qui n’est qu’un vaste parc plein de vieux manoirs et de villas somptueuses, les chênes et les gazons s’allumaient, se piquaient, s’étoilaient d’une multitude de feux ; et la Néerlande s’endormait en une douce clarté orange.


II

Amsterdam avait épuisé toutes les ressources de la magnificence, et dans la première ville en avait surgi une seconde, de soie, de velours et d’or. La Reine y devait arriver le lundi 5 septembre vers deux heures, et dès dix heures du matin, il n’y avait pas une tribune qui ne fût prise d’assaut. En bas, sur les trottoirs, le flot populaire coulait ininterrompu : tout un peuple bon enfant, sous l’œil de ces militaires bons enfans que sont les gardes civiques. De temps en temps, un cavalier faisait piaffer sa monture, une musique jouait, — le Wilhelmus, toujours ; — une corporation de métier prenait position dans la haie. De temps en temps aussi, bourgeoisement, un garde civique levait sa gourde et buvait un petit coup ; on en voyait qui tenaient deux fusils, à tour de rôle, pendant que le camarade était allé dire bonjour à un ami ou fumer une cigarette… Rien de roide, rien de rigoureux ; c’était tout juste assez militaire et tout juste assez officiel : la foule faisait sa police elle-même, et, placide, heureuse d’être là, ne s’énervait point des longueurs de l’attente.

Soudain, le canon gronde ; il vient de loin comme une rumeur qui ne se tait plus et qui, d’abord sourde, s’enfle et grandit ; infanterie, cavalerie, des troupes passent, patriotiquement applaudies, — surtout l’armée des Indes, la réserve coloniale ; — ensuite s’avance l’escadron blanc et bleu des gardes d’honneur, et ensuite, les officiers et dames du palais. Maintenant la rumeur est un tonnerre de voix et de battemens de mains. Des toits, des balcons, des fenêtres, des estrades, des vitrines de magasins, des réverbères, des mâts, des ponts, des canaux, c’est une envolée d’écharpes et de mouchoirs orange. La voici enfin, Elle, dans sa voiture à