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huit chevaux, avec la reine mère à sa gauche ; la reine mère en toilette mauve, Elle, toute blanche. Et Elle est presque debout, le corps projeté hors de la voiture, et Elle rit, et Elle agite sa dentelle vers les vitrines, les estrades, les balcons et les toits, saluant au-dessus et au-dessous d’Elle, belle et charmante à la fois de sa majesté et de sa jeunesse, à la fois de son rang et de son âge, reine-enfant…

Le lendemain, dans la Nieuwe Kerk, aux termes de la Constitution, il y a séance publique et plénière des Etats-Généraux. L’énorme vaisseau est bondé ; une épingle qui tomberait n’y toucherait pas le sol. Pareil spectacle ne s’était vu depuis « l’inauguration » du roi Guillaume III, le 12 mai 1849 ; et dans cette ville, on peut presque dire dans ce royaume où tout le monde se connaît, tout le monde a voulu s’y montrer ; la vanité s’en est mêlée, et l’envie, qui ne sont jamais absentes des actions humaines ; plus il était difficile d’être admis à la cérémonie, et plus il était distingué de l’être, et plus on tenait à l’être ; aussi offrait-on d’une carte médiocre un prix fantastique : mille florins, plus de deux mille francs ; la légende veut même qu’il en ait été offert jusqu’à dix mille florins, vingt et un mille francs.

Devant la grande grille de cuivre ouvragé, chef-d’œuvre de patience et d’élégance, deux trônes, deux fauteuils étaient posés, l’un, à droite, un peu plus élevé que l’autre, tous deux surmontés d’une couronne, mais celui de droite, d’une couronne plus grosse que l’autre et soutenue par les lions néerlandais, avec le chiffre W et la couronne elle-même répétés sur l’étoffe. En face, les rangées de chaises où vont prendre place les représentans de la nation, — l’autre haute partie contractante, — « Nosseigneurs les Etats-Généraux de Hollande. » Dans l’intervalle, une table où l’on a apporté la couronne, le globe et un livre, — la Bible ou la Constitution. Une profusion de plantes et de banderoles ; l’éventail des palmiers, se déployant autour de chaque pilier, et animant de leur chaude verdure le poli froid et gris de la pierre. Etincellement d’uniformes, de croix et de bijoux. Les quatre princes indiens, debout sur les marches, chargés de pierreries, cuirassés de lamelles d’or, luisent comme des lingots ou des solitaires. Déjà la famille royale est arrivée : la princesse de Wied, les grands-ducs de Mecklembourg et de Saxe-Weimar-Eisenach, tous trois ensemble ; puis, à part, la reine mère Emma, dont les yeux s’attachent aussitôt, avec une fixité anxieuse, à