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politiques du XVIe siècle, partant de Machiavel, se dirigent vers Scapin : un certain abbé Ruccellaï, Florentin, d’abord clerc de la Chambre à Rome, puis, s’étant insinué dans la faveur du Pape Paul V assez avant pour donner de l’inquiétude au cardinal-neveu, expulsé de Rome et manquant ainsi sa carrière de porporato. Venu en France, il s’enrôle dans la bande des Concini, vit somptueusement à la cour, et conquiert le genre d’influence qu’assurent beaucoup d’adresse, d’aplomb et de dépenses. Il était sur le point de remplacer l’évêque de Luçon, quand eut lieu l’assassinat, destiné ainsi toute sa vie à manquer la fortune d’un quart d’heure. Spirituel, voluptueux, grand musicien, le premier homme, dit-on, qui ait eu des vapeurs, mais, quand il le fallait, vif, actif, remuant et résolu. Ennemi dangereux, crevant d’envie et de vengeance ; de ces gens redoutables qui sont esclaves de leur imagination plus encore que de leur passion. Avant tout, adversaire muet de Richelieu qu’il essaya toujours de supplanter près de la reine mère, et auquel il paraît avoir voué une de ces haines secrètes qui n’ont leur pleine satisfaction que dans les douceurs hypocrites des amitiés feintes, des effusions empoisonnées et des baisers de Judas.

Enfin, tout en bas de l’échelle, un autre, d’un comique achevé, un certain Tantucci, un vrai fantoche, traître constant et sincère, mangeant ostensiblement à tous les râteliers, curieux, bavard, épistolier, mentant avec surabondance, pleurnicheur, avec un certain manque de tact qui insistait vraiment trop sur les coups de pied reçus, mais commode parce qu’il savait tout, répétait tout, mentait toujours et était prêt à tout empêcher.

C’est parmi ces témoins et ces comparses qu’allait se jouer la partie entre Luynes et Richelieu. Celui-ci avait quitté Paris, le 3 mai. Le voyage de Blois se fit péniblement. A Orléans, la cour fugitive fut reçue avec de grands honneurs, notamment par le clergé. A Blois, il n’en fut pas de même. Les bourgeois de la ville délibérèrent de l’accueil qu’on ferait à la protectrice du maréchal d’Ancre, et on ne fit, en somme, que juste ce qui était convenable. La Reine occupa le château. Avant de partir de Paris, l’évêque de Luçon avait pris ses précautions pour qu’elle fût du moins maîtresse chez elle. Outre les conditions stipulées par un accord spécial entre l’évêque et le favori, un brevet du Roi, signé du 2 mai, avait confirmé la reine mère dans ses « pensions, appointemens, gouvernemens, domaines, bienfaits et droits. » Elle avait d’ailleurs besoin de ressources importantes ; ses charges étaient