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ayant perdu, depuis quelque temps, tout crédit auprès de Luynes, cherchait quelque moyen de rentrer en grâce auprès de ceux qu’il avait si audacieusement trompés. Tous ces ressorts jouèrent à la fois. Déagent va même jusqu’à dire, dans ses Mémoires, qu’on agit directement auprès du Roi et que celui-ci prit son parti, spontanément, sans consulter Luynes.

Quoi qu’il en soit, quelques jours après qu’on eut reçu la nouvelle de la fuite de la Reine-Mère, et avant même qu’on eût décidé le départ des négociateurs, le Roi lui-même écrivit à l’évêque une lettre très obligeante, qui fut remise au frère du Père Joseph, Du Tremblay, avec ordre de la porter sans retard à Avignon. Elle prescrivait à Richelieu de se rendre, toute affaire cessante, auprès de la Reine-Mère, à Angoulême.

On pense bien que l’évêque ne se fit pas prier. Nous avons vu qu’il était prêt, son bail résilié et son testament fait, comme à la veille d’un long voyage. Avait-il prévu celui-ci ? Était-il averti ? On peut, à la rigueur, le supposer. Cependant, les délais paraissent bien courts pour qu’il ait pu connaître, à Avignon, toutes les phases de la grande intrigue qui se tramait entre d’Epernon et Marie de Médicis. Celle-ci, comme on l’a vu, ne fut avertie qu’au dernier moment, par l’arrivée inattendue de Cadillac ; et, quant à Ruccellaï, qui, seul, tenait tous les fils, il jouait sa partie contre Richelieu et avait, par conséquent, tout intérêt à ne rien laisser parvenir jusqu’à lui.

En tous cas, l’évêque de Luçon n’avait qu’à partir. La lettre du Roi lui étant parvenue le 7, le lendemain il était en voiture : « Aussitôt que j’eus reçu la dépêche de Sa Majesté, dit-il, bien que le temps fût extraordinairement mauvais, que les neiges fussent grandes et le froid extrême, je partis en poste d’Avignon pour obéir à ce qui m’était prescrit et à ce à quoi j’étais porté par mon inclination et mon devoir. »

Cependant, divers incidens pénibles devaient retarder encore ce voyage que l’évêque entreprenait si allègrement. En approchant de Vienne, comme le carrosse traversait un petit bois, il fut arrêté soudain. Trente soldats, armés d’arquebuses, mirent la main sur l’évêque, en prétendant exécuter les ordres du gouverneur de Lyon, M. d’Alincourt. Celui-ci, fils de M. de Villeroy, croyait agir conformément aux désirs de la cour. Les ministres, en effet, n’avaient pas été tenus au courant de la décision prise au sujet du rappel de M. de Luçon. M. d’Alincourt avait même