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l’État chinois, devient une condition de faiblesse pour lui au moment où il se trouve en présence d’adversaires tels qu’il n’en avait jamais connu d’aussi redoutables.

En dehors de cet attachement aux vieilles coutumes et à une antique civilisation, demeurée sans changement depuis vingt siècles, de cet esprit conservateur si intense et de cette vigueur du tempérament national, existe-t-il des traits communs à la vaste agglomération de trois cent à quatre cent millions d’hommes[1] qui constitue le peuple chinois. À première vue, rien ne paraît plus homogène que cette immense masse ; mais point n’est besoin d’avoir passé bien longtemps en Chine pour remarquer entre les sujets du Fils du Ciel, au point de vue purement physique, d’appréciables diversités de types, qu’empêchait de voir d’abord la dissemblance beaucoup plus profonde qui sépare cette race de la nôtre. Ce qui est plus frappant encore, ce sont les différences entre les dialectes chinois, dont plusieurs forment des langues totalement distinctes. Il est impossible à un indigène de Canton ou de Fou-tchéou de se faire comprendre à Pékin ; bien plus, dans une même province, il existe parfois des différences de langage presque aussi tranchées. Au Fokien on compte trois dialectes principaux ; ceux d’Amoy, de Swatéou et de Fou-tchéou, qui sont totalement dissemblables. Entre des villes comme Tientsin et Pékin, que séparent à peine trente lieues, on note déjà des divergences de parler très sensibles. Il est certain aussi qu’il n’existe guère de sympathies entre les Chinois originaires de diverses provinces, qu’ils se tiennent beaucoup à l’écart les uns des autres, lors même que les circonstances les rassemblent dans une même ville ; l’opposition, les différences de caractère et de tempérament s’accusent en particulier entre l’homme du nord et celui du sud, généralement supérieur par l’énergie et l’esprit d’entreprise en même temps que plus hostile aux étrangers. Le pouvoir central est presque inconnu d’une multitude de gens, et rien n’est plus vrai que de dire, comme on l’a observé, qu’il serait très aisé de lever une

  1. La population de la Chine a fait l’objet d’estimations assez diverses. Il existe des évaluations officielles, mais jusqu’à quel point sont-elles dignes de créance ? C’est ce qu’on ignore. Celles qui sont citées dans le Statesman’s Year Book, recueil généralement très bien informé, donnent 383 millions pour la Chine propre et 402 pour tout l’Empire. Quelques personnes prétendent qu’il faudrait s’arrêter à un chiffre bien inférieur : 200 à 250 millions, se fondant sur ce que les montagnes sont très peu habitées et que les voyageurs ont le tort de juger l’ensemble d’après les vallées, très peuplées, qu’ils suivent surtout.