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l’amour exagéré du bruit qui se manifeste à toute occasion, joyeuse ou triste, aux mariages et aux enterremens, aux fêtes et aux incendies. Ce qui exaspère surtout les Européens, ce sont les superstitions grossières qui remplacent chez les Célestes la religion absente et constituent l’un des plus grands obstacles à tout progrès : leurs idées relatives au feng-shui, c’est-à-dire à la géomancie, viennent souvent rendre difficile jusqu’à la moindre opération de voirie dans les concessions européennes ou dans des villes comme Hong-Kong ou Singapore. À côté de cela, l’esprit chinois se signale par un éloignement des idées générales et abstraites, une absence d’idéal, en un mot un matérialisme profond, tel que le plus exclusivement pratique des Occidentaux ne manque pas d’en être choqué. Le passif des Célestes est chargé, on le voit et l’on comprend qu’ils forment un peuple peu sympathique et nullement séduisant, d’autant que leur physique, disgracieux à notre goût, vient brocher sur le tout et qu’ils sont dépourvus de ce charme particulier dont leurs voisins, les Japonais, savent envelopper tout ce qui les touche et leurs vices mêmes.

Les Chinois ont cependant de grandes qualités : ce ne sont pas des qualités aimables, — en dépit de la politesse extérieure, répandue dans toutes les classes beaucoup plus qu’en Europe, trop purement cérémonielle toutefois, ne provenant d’aucun sentiment de bienveillance et dont on se lasse vite, — mais ce sont des qualités sérieuses : patience, persévérance, travail acharné, aptitudes commerciales de premier ordre, industrie, économie, grande force de résistance physique, respect des parens et des vieillards, contentement de son sort. Si l’État chinois présente tous les symptômes de la décadence, il serait donc parfaitement injuste d’en dire autant de la race, énergique et laborieuse. Sans doute le gouvernement n’est pas la seule chose à réformer en Chine : l’habitude séculaire de regarder vers le passé comme type de perfection a produit une véritable atrophie de certaines facultés de l’esprit : toute originalité, toute puissance d’invention ont disparu pour faire place à l’imitation servile et sans discernement. On en a des exemples chaque jour dans le courant de la vie : l’un des plus typiques est celui du tailleur à qui l’on a commandé un vêtement, d’après un modèle où se trouve un trou et qui vous en rapporte la copie identique, sans oublier le trou, soigneusement fait à la place et avec les dimensions exactes qu’il occupait sur le modèle. Dans le même ordre d’idées, on me montrait, au très intéressant