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le voyage du duc d’Épernon et, conformément aux instructions qu’il avait reçues, il se mit aux ordres de la Reine, si elle était disposée à quitter le château. On s’imagine l’angoisse de cette femme, seule, sans conseil, au moment de prendre un parti si grave, sur la parole d’un tel homme, et de se lancer dans une telle aventure. Ne sachant à qui se fier, elle n’avait rien dit à personne. Du Plessis arriva derrière Cadillac. Il fut reçu à son tour, retenu et logé au château. Il fit si bien qu’il décida la Reine. Sur son conseil, elle prit pour confident un jeune homme de son entourage, le comte de Brenne, frère du marquis de Mosny.

Cadillac fut renvoyé vers l’archevêque de Toulouse pour l’avertir des dispositions de la Reine. L’archevêque, qui était déjà à Loches, s’avança jusqu’à Montrichard, à six grandes lieues de Blois et tout fut prêt pour la nuit suivante, 22 février, un mois, jour pour jour, après que le duc d’Epernon avait quitté Metz.

Le duc d’Épernon lui-même était à Loches. Il reçut Cadillac, retour de Blois, et se fit rendre un compte exact de tout ce qui s’était passé. On dit qu’à cette heure décisive, cet homme, qui venait de donner de si grandes preuves d’énergie et de résolution, hésita. Il se fit répéter par Cadillac, plus de cent fois en moins d’une demi-heure, ce que la Reine avait dit. À la fin, il se décida, et faisant allusion lui-même à César, il dit : « Nous avons, maintenant, franchi le Rubicon. » Il laissa donc partir de nouveau Cadillac. Ayant quitté Loches à huit heures du soir, celui-ci galopa dans la nuit sombre et arriva, entre minuit et une heure du matin, au pont de Blois. Il se glissa dans la ville, où il rencontra d’abord le comte de Brenne, et les valets de pied de la Reine, qui avaient préparé le carrosse, auprès du pont. Il traversa la ville silencieuse, monta jusqu’au château et, étant sur le chemin, du pied du rempart, il vit, là-haut, au deuxième étage, la chambre de la Reine éclairée. Il trouva aussi, toutes préparées par de Brenne, deux échelles qui permettaient de gagner d’abord la terrasse et ensuite, le long du mur, la fenêtre de la Reine. Il monta. La fenêtre était fermée. Il frappa. On tardait à lui ouvrir et, du haut de l’échelle, il assistait à une scène poignante qui se passait au dedans. Les domestiques de la Reine, auxquels elle avait fini par se confier, la suppliaient de ne pas partir. Ils ne savaient rien du complot, ignoraient que le duc d’Épernon fût de la partie et, effrayés de la soudaineté et du péril d’une si grave résolution, ils s’efforçaient de s’y opposer.