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foi naquirent les Croisades, que la France inspira toutes et soutint presque seule. Outre la primauté morale, sa générosité lui valut la plus belle part des avantages, quand les entreprises furent heureuses. Par ces guerres, la Palestine, la Syrie, l’Arménie, Constantinople, une partie de la Macédoine, de l’Albanie, de la Grèce, devinrent terres françaises ; même quand ces conquêtes furent perdues, les titres de la France demeuraient intacts dans le cœur des peuples qui espéraient par elle la délivrance, et son prestige dominait sans égal tout le bassin de la Méditerranée. La politique de principe s’était trouvée par surcroît une politique d’intérêt, et, bien avant que ces mots ne devinssent en usage, une politique d’expansion coloniale.

Le XVIe siècle nous commença d’autres destinées. Les premiers, les empereurs allemands avaient paralysé l’élan des croisades par leur obstination égoïste à envahir l’Italie et à dominer l’Europe. Malgré l’insuccès tragique de leurs tentatives, la maison de Valois se laissa séduire par l’exemple. A la lutte de toute l’Europe contre le Turc, à l’immense dépouille où tous auraient trouvé leur avantage et leur équilibre, elle préféra des conquêtes sur ses voisins. A l’union des États chrétiens, c’était substituer la guerre entre la France, l’Autriche, l’Italie, l’Espagne, donc affaiblir le catholicisme ; c’était substituer un système de domination continentale où le vainqueur ne s’imposerait qu’à l’épuisement de ses rivaux, donc affaiblir l’Europe. La maison de Valois se trouva presque aussitôt victime de ses calculs. Trompé dans sa candidature impériale, vaincu sur le champ de bataille, prisonnier réduit à payer de ses provinces sa rançon, François Ier, dans cette ruine de sa fortune, ne gardait intact que son orgueil. Il l’appelait l’honneur, et cet honneur ne pouvait plus que crier à l’aide, mais la défaite est l’abandon. En face de Charles-Quint, un seul prince restait debout, armé contre l’Espagne sur mer, contre l’Autriche sur terre : et ce prince était aussi l’adversaire du nom chrétien, le chef de l’Islam, Soliman. François Ier recourut au Grand Turc, un peu comme dans les légendes le désespéré se donne au diable, avec le même sentiment du sacrilège commis, avec la même volonté d’obtenir, en échange de l’âme livrée, les biens de ce monde. Et, si faible que fût alors le roi, il pouvait beaucoup exiger pour prix de son alliance, car Soliman non plus n’avait pas le choix des amitiés. L’Islam vivait, depuis l’origine, sous une menace constante : l’union de la chrétienté eût suffi à le chasser d’Europe. Séparer de cette