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À PROPOS
D’UN
THÉÂTRE ANTIQUE


J’ai revu, il y a quelque temps, le théâtre d’Orange. C’est un des plus beaux que nous ayons de l’époque romaine, et, par un hasard heureux, ce qui en reste est précisément ce qui manque surtout aux autres. D’ordinaire les gradins, taillés dans le roc ou adossés à des murailles puissantes, ont en partie survécu ; c’est la scène, avec ses constructions plus légères et plus compliquées, qui a le plus souffert. Ici, au contraire, la scène a résisté. Et d’abord nous voyons que la façade extérieure de l’édifice, qui presque partout ailleurs a péri, est d’une conservation merveilleuse. On ne peut se défendre d’une vive émotion quand, après avoir suivi quelque temps les rues étroites de la petite ville, on se trouve en face de ce grand mur presque nu, sans autre décoration que quelques colonnes doriques qui encadrent les portes, et, au-dessus d’un rang de fenêtres fermées, des pierres saillantes où s’enfonçaient les pieux qui soutenaient le velarium. Certes les Romains ont réuni dans leur architecture des qualités très diverses, et, quand on a pu voir le pont du Gard, par un beau jour d’été, détachant ses arcades élégantes dans un fond de soleil éclatant, on est bien forcé de reconnaître qu’ils ont su quelquefois trouver la grâce dans la grandeur. Ici, c’est la grandeur qui l’emporte et même qui règne seule : le monument produit tout son effet par sa masse et sa simplicité. Et l’effet devait être bien plus grand lorsque à côté s’élevait le cirque, bâti le long du théâtre, et qu’un portique, dont on voit encore quelques débris, reliait entre eux ces édifices et entourait toute la place.