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intérêt commun, est aussi une question de sécurité commune et de police ; aussi est-il naturel que les villes s’en chargent au besoin. La limite entre les intérêts purs et les droits n’est d’ailleurs pas facile à déterminer, surtout dans les sociétés modernes, où les relations plus complexes entraînent plus de conséquences non seulement économiques, mais juridiques. A une vie plus intense, disait avec raison Dupont-White, il faut plus d’organes ; à plus de forces il faut plus de règles.

La consommation varie avec les individus et les besoins ; elle ne peut être universalisée, et les socialistes modernes le reconnaissent eux-mêmes, au moins en principe. Enfin, la production varie, elle aussi, avec les besoins individuels, avec les demandes et les goûts, avec les facultés et le travail. L’Etat ne peut socialiser une production sans y être obligé par quelque conflit inextricable de droits et d’intérêts. Ceux qui trouvent qu’ils auraient intérêt et profit à produire en commun tels et tels objets doivent avoir la pleine liberté de s’associer et de coopérer, mais sous la condition expresse qu’ils respecteront la liberté des autres et n’abuseront pas de la force que l’union confère. Si, d’ailleurs, les associations coopératives deviennent un jour de plus en plus étendues, jusqu’à embrasser finalement l’Etat entier, alors, et alors seulement, tout le monde étant d’accord (par hypothèse), la production socialisée sera légitime ; mais c’est là un aboutissant et non un point de départ. L’Etat ne doit donc pas se faire lui-même producteur universel. Il ne peut qu’assurer, dans la production, les conditions de la justice, avec l’assentiment universel des citoyens. Sinon, il y a sujétion d’une minorité à une majorité, souvent même d’une majorité inerte à une minorité remuante et ambitieuse qui s’empare du pouvoir.

L’Etat, en outre, ne peut agir qu’au moyen : 1° d’impôts ; 2° de fonctionnaires. Pour organiser socialement, par voie d’autorité et sans l’assentiment unanime, tous les services abandonnés aujourd’hui aux individus ou aux associations libres, il faudrait donc, par l’impôt, prendre sans cesse sur ce que chacun possède et peut dépenser à son gré. Je verrais ainsi, en fait, ma liberté de plus en plus réduite ; je contribuerais malgré moi à des productions dont je n’ai pas besoin, qui ne constituent pas non plus un besoin universel et universellement reconnu, soit de l’ordre matériel, soit de l’ordre moral. L’impôt irait toujours croissant, si les attributions de l’Etat allaient elles-mêmes croissant au-delà des