Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/369

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

légèreté, en perpétuelle contradiction avec lui-même, et, par vanité, en contradiction plus ou moins déclarée avec le Roi, qu’il compromet : c’en est fait, si Guillaume Ier le garde, du respect et de la confiance que le peuple et les nations avaient mis en lui ; son renom de justice et de chevalerie succombera à « cette politique pleine d’astuces[1]. » Dans ce même moment, pourtant, M. de Bismarck n’avait qu’une seule idée et n’accomplissait qu’un seul acte : il commençait à faire l’Allemagne et, pour la faire, en chassait l’Autriche, qu’on lui reprochait de servir secrètement. Les dates ont ici leur éloquence : la lettre accusatrice est du 15 juin 1866 ; le Roi ne la décacheta qu’en juillet, à Nikolsbourg : « Ce n’est qu’à Nikolsbourg que j’ai ouvert votre lettre, et la réponse serait suffisante. » La réponse, en effet, est suffisante : c’est la victoire, c’est Sadowa.

Pour qui ne vit pas tout près de Bismarck, il y a de la tempête dans la soudaineté de ses résolutions ; et les pauvres aiguilles des boussoles ordinaires de la politique prussienne s’affolent, car sa politique, à lui, semble n’être que coups de vent et bourrasques. On ne sent pas le courant régulier et constant qui la porte ; mais, de même, c’est à peine si l’on perçoit la respiration du forgeron au repos, on n’entend que le soufflet qui ronfle et la poitrine qui halette, quand il forge : cependant, pour que de temps en temps il forge, il faut bien que, tout le temps, il ait respiré. Ainsi, de la politique de Bismarck : elle n’éclate que de temps en temps, mais tout le temps il l’a poursuivie, et son effort le plus sourd n’est ni le moins laborieux, ni le moins productif. Pour changer la Prusse, Bismarck doit tout d’abord changer Guillaume Ier, pour créer l’Allemagne impériale, créer d’abord l’Empereur allemand. Or, Guillaume Ier est vieux, et, sauf d’anciennes rancunes qui dorment en son cœur, mais qui peu à peu s’y sont presque noyées sous le flot de sensibilité qu’y verse la reine Augusta, il est pacifique. Comment réagir, lui inspirer l’amour de la gloire, l’animer aux conquêtes ? En pressant le

  1. Lettre de M. de Bethmaum-Hollweg au roi Guillaume Ier, du 15 juin 1866. Pensées et Souvenirs, t. II, p. 15 et suiv. — Cf. Die deutsche Kinsis des Jahres 1866, von Wilhelm Hopf : in-8o, Melsungen, 1899 ; W. Hopf. — Der Kampf um die Vorherrschaft in Deutschland, 1859 bis 1866, von Heinrich Friedjung ; 2 vol. in-8o. Stuttgart, 1898 ; Cotta ; et chez le même éditeur, outre l’ouvrage déjà cité : Berlin und Wien, le livre qui a pour titre : London, Gastein und Sadowa, 1864-1 866, Denkwürdigkeiten von C. F. Graf Vitzthum von Eckstädt. — Voyez aussi, de M. G. Rothan, la Politique française en 1866, 1 vol. ; la France et sa politique extérieure en 1867, 2 vol. in-16 ; Calmann Lévy.