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où l’on s’ennuie, s’observe, s’imite, se traite, se trahit à l’envi, où l’on ne croit, ceux-ci qu’au bel esprit et ceux-là qu’aux belles façons, il est tenu pour une sorte de barbare délirant, lui, de son côté, il s’examine et ne se méprise pas ; il se compare et s’estime infiniment ; il jauge, il toise, il pèse, il prend la mesure de tous ces êtres de vanité, de parade et d’insignifiance, et il la prend comme il convient, de haut en bas.

Combien en a-t-il déjà fait sauter à menus coups dans la paume de sa large main, de ces ministres, politiques ou diplomates, que, malgré la surcharge de leurs honneurs et de leurs décorations, et l’appoint à leur valeur personnelle de leur grandeur officielle, il a rejetés à terre, les ayant trouvés trop légers ? Là-bas, tout d’abord, à Berlin. Près du Roi, le plus près que des sujets puissent être, ses aides de camp, les généraux Léopold de Gerlach et de Rauch. C’est encore ce qu’il y a de mieux, et l’un d’eux, Gerlach, sera son correspondant préféré. Mais quoi ! « Gerlach, quand il s’agissait de prendre une résolution sur des événemens pressans, était entravé par la manie de vouloir formuler spirituellement un jugement d’ensemble sur la situation, et le flegme que lui imposait son obésité l’entravait sans cesse. » — Rauch était « le bon sens fait homme, mais sans instruction, avec les idées et les tendances d’un général prussien de première qualité. » — Le comte Brandenbourg avait du courage et de la bonne volonté, mais ne savait rien et disait de lui-même : « Je m’engage dans le ministère comme un enfant dans les ténèbres[1]. » — Otto de Manteuffel était laborieux et capable, mais il tremblait ou il hésitait toujours, et toujours sa première pensée était : « Qu’en pensera Mme de Manteuffel ? » — Gagern, chef du parti national allemand, ancien président du parlement de Francfort, et ancien ministre d’Empire, « avait plutôt ce qu’il fallait pour faire un orateur et un président d’assemblée qu’un homme d’affaires politique ; il avait pris l’habitude de se comporter en « Jupiter tonnant » et de se croire un dieu. » — Des deux comtes de Goltz, l’un, le comte Charles, ne songeait qu’à faire sa cour ; l’autre, le comte Robert, homme éminemment intelligent et actif, très ambitieux et laissé à tort sans emploi, avait pris celui « d’imprésario de la troupe » Bethmann-Hollweg, ou parti du Wochenblatt. Ouvertement, il voulait le pouvoir, et il avait tout ce qu’il fallait pour l’occuper

  1. Pensées et Souvenirs, t. I, p. 66.