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entassera des pages noires, lourdes et comme « fourrées » du plomb de la vengeance et de la haine. Mais, quelle que fût la chevalerie du prince, et quelle que fût aussi la tracassière importunité « de dames s’occupant ainsi de politique, » Guillaume Ier, dit Bismarck qui se repose en cette assurance, « avait une qualité rare, qu’il garda comme roi et empereur : pour de fidèles serviteurs, il était un maître fidèle[1]. » Chevaleresque en cela encore, il avait toutes les fidélités et, politiquement, l’une compensait l’autre. Devant lui on pouvait tout dire, avec lui on pouvait tout faire, et sous lui, par conséquent, on pouvait tout entreprendre. En lui, eu ce roi, Bismarck a trouvé le premier, le plus solide et le mieux « en main » de ses instrumens : la monarchie prussienne.

Les autres devaient ou pouvaient être : l’armée, la diplomatie, l’administration et ses fonctionnaires supérieurs, les ministres, le Parlement : puis les pouvoirs d’opinion : l’école, la presse, le suffrage universel. Mais il s’en fallait que tous ces instrumens fussent en état, montés et prêts pour la besogne : tel d’entre eux était à créer, et tel à redresser ; ceux-ci à retourner, ceux-là à refondre. L’ensemble faisait un lot médiocre. Bismarck s’était préoccupé de savoir au juste, vers le temps d’Olmütz, et sous le coup qui atteignait la fierté prussienne, ce que valait alors l’armée, comme effectif, armement, entraînement, et la réponse peu encourageante du ministre de la guerre Stockhausen[2], en lui dictant son discours du 3 décembre 1850, avait probablement inspiré les résolutions de prudente et même déférente réserve avec laquelle il avait, au début de sa mission, traité la politique autrichienne à la Diète de Francfort. « Tant que tu ne seras pas le plus fort, aie l’air de te soumettre, — c’est un précepte machiavélique ; — mais arrange-toi pour devenir au plus vite le plus fort, et frappe. » La chose urgente était donc, dans le plus bref délai possible, de devenir militairement le plus fort possible ; et il eût été bon, aussi, d’être fort diplomatiquement, d’avoir à ses ordres une diplomatie active, intelligente et énergique. Mais, par son recrutement, par les qualités que l’on exigeait d’elle, et par l’idéal qu’on lui proposait, la diplomatie prussienne, aux environs de 1860, était loin de fournir cet instrument-là. La principale vertu d’un diplomate, selon le cœur des ministres, depuis Ancillon, et le viatique de la carrière, c’était de « savoir une langue étrangère,

  1. Pensées et Souvenirs, t. I, p. 168.
  2. Ibid., t. I, p. 90.