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Han-kéou ; ce centre incomparable d’activité économique est trop loin de nos frontières et nous y serions devancés : c’est vers le Se-tchouen qu’il faut tourner nos efforts.

Le Se-tchouen est comme le vestibule de la Chine en avant du Thibet : blotti au pied de l’énorme entassement des plateaux, il a une bonne partie de son territoire couverte des rameaux détachés de la masse ; mais plusieurs affluens du Fleuve Bleu ont fertilisé de leur limon de belles plaines, parsemées de collines. Rien ne manque à la richesse naturelle de ces cantons favorisés qui entourent Tchoung-king et Tchen-tou. Le sous-sol abonde en charbon, en fer, en sel ; la terre, d’une fécondité merveilleuse, produit le riz, l’opium, le coton, le thé, le tabac, l’indigo, le chanvre ; l’arbre à laque et le mûrier poussent partout[1] ; du Thibet arrivent par caravanes le musc, les peaux, les laines. Tant d’avantages naturels ont fait du Se-tchouen l’une des provinces les plus peuplées de l’Empire du Milieu. Près de 40 millions d’hommes se pressent sur les terroirs les plus fertiles et la densité de la population y atteint 175 habitans par kilomètre carré. Mais à ces richesses accumulées, à cette foule d’hommes entassés et pullulans, il manque une issue commode vers l’extérieur. Le Yang-tsé n’est navigable pour les jonques qu’à partir de Soui-fou ; les routes de terre sont longues et à peine praticables. Le jour où le Se-tchouen communiquera plus facilement avec le reste du monde, son activité productrice et son besoin d’échanges grandiront dans des proportions impossibles à prévoir. L’industrie, déjà établie à Tchoung-king, prendra son essor, favorisée par l’abondance des matières premières et par le bon marché des salaires (35 à 40 centimes par jour, y compris la nourriture). Le Se-tchouen est affamé dans les années de disette de riz ; il en absorberait des quantités énormes, s’il était en relations rapides avec un pays producteur. Si notre grande voie tonkinoise venait plonger par ses racines dans cette contrée fabuleusement riche, elle lui apporterait, avec les procédés et les capitaux du dehors, le riz nécessaire à sa faim, les machines et les outils indispensables à la mise en œuvre de toutes ses ressources ; elle serait son plus court débouché vers la mer.

  1. Le Se-tchouen — pour donner seulement un chiffre — produit annuellement, d’après l’estimation des spécialistes de la mission lyonnaise, 2 400 000 kilogrammes de soie valant 25 millions de francs et pourrait en produire pour plus de 70 millions.