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De Yun-nan-fou, un chemin de fer peut, en se tenant sur les plateaux et en passant par le grand centre de Pi-tsié, dans le Koui-tchéou, parvenir, par une voie à la vérité difficile, mais enfin praticable, jusqu’à Soui-fou ou à Lou-tchéou, à l’embouchure de l’une des rivières qui descendent de la région de Tchén-tou et arrosent, à l’est et à l’ouest d’une chaîne peu large, les plus fertiles campagnes du monde. Si nous le voulons avec énergie et persévérance, et surtout si nous sommes décidés à nous mettre à l’œuvre sans retard, nous pouvons relier à notre empire d’Asie l’un des plus riches marchés de toute la Chine.

Pour nous, Français, le nœud de la question d’Extrême-Orient est sur le Yang-tsé, au Se-tchouen. Pénétrer dans cette grasse province, c’est aussi l’ambition des Anglais ; ils y convoitent pour leur industrie un débouché encore inexploré, une terre encore vierge à exploiter ; surtout, peut-être, ils espèrent trouver au Se-tchouen le point par où, de la vallée du Yang-tsé, devenue, comme une autre Égypte, une dépendance de l’empire britannique, ils rejoindront, par-delà les montagnes, leurs colonies de la Birmanie et de l’Inde. Des bouches du Fleuve Bleu jusqu’à Aden et à Ceylan, l’Asie deviendrait anglaise !

Mais la nature, avant les hommes, a posé, à l’encontre de cette envahissante ambition, des obstacles terribles. Par trois points, par Koun-lon sur la Salouen, par Bahmô et par MyitKyina sur l’Iraouaddy, les lignes anglaises de Birmanie aboutissent ou vont aboutir jusqu’au pied des montagnes ; mais partout elles se heurtent à d’énormes murailles, à des chaînes de 4000 mètres, séparées par des vallées profondément encaissées, auprès desquelles paraissent médiocres les pentes que nous avons à escalader pour sortir du Tonkin. L’impossibilité de faire parvenir une voie ferrée sur les plateaux du Yun-nan, en franchissant les vallées de la Salouen et du Mékong, semble presque démontrée ; mais l’intérêt de la Grande-Bretagne est si grand et si évident qu’elle n’est pas découragée par ces difficultés extraordinaires. Créer des débouchés nouveaux, c’est la loi de sa vie économique : quelles que soient les dépenses, elle peut les supporter ; quelles que soient les difficultés, l’art des ingénieurs peut les vaincre. Le nouveau vice-roi des Indes, lord Curzon, dès sa nomination, prescrivait de pousser activement les travaux des chemins de fer birmans. Prenons donc garde, malgré tout, de nous laisser devancer à Yun-nan-fou.

Repoussés à l’ouest par la nature, les Anglais tentent de