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pante.» Le dernier terme de ce jugement ne convient ni ne suffit ; nous Talions montrer, essayer au moins de le montrer tout à l’heure. Mais d’abord et surtout nous voudrions montrer, ou plus modestement rappeler, car cela ne fait plus guère de doute, que les premiers mots également disent à peine assez.

Tout est colossal dans Tristan, et tout de suite. Wagner, en le composant, a dû ressentir la volupté dont parle Maurice de Guérin, et « qui n’est connue, dit-il, que des rivages de la mer, de renfermer sans aucune perte une vie montée à son comble, et irritée. » C’est le premier acte : Iseult, au paroxysme de la fureur, et de la fureur d’amour, a mandé Tristan pour qu’il s’humilie devant elle et qu’avec elle il meure. Le fier et doux héros va paraître ; il entre, et son entrée est l’une des grandes choses de la musique. Quatre notes seulement, quatre terribles notes de cuivre, forment ce thème. On hésite à l’appeler mélodie, tant il est court. C’en est une pourtant. Il suffit, pour s’en convaincre, de se souvenir d’une autre, aussi formidable et encore plus brève, car elle n’a que deux notes, qui sont les deux premières de la symphonie en ut mineur. Celles-ci descendent et tombent ; la mélodie de Tristan s’élève ; elle ressemble à un pas en avant, à un degré qu’il faut franchir. Et cela est naturel si, comme l’a dit Beethoven, le début de la symphonie en ut mineur représente le destin qui frappe à la porte, en d’autres termes, une intervention, une agression de forces extérieures et accablantes. Le motif de Tristan, au contraire, exprime un effort de l’âme qui résiste, de la volonté qui se raidit. C’est pour cela qu’il monte, avec une énergie et une puissance que la mélodie analogue et inverse de Beethoven est seule peut-être à égaler.

Rien de plus grandiose encore que la fin du premier acte, où tantôt raccourcis, tantôt étendus au contraire, tantôt exaltés et comme fous, les thèmes se pressent, se heurtent et se bousculent dans une cohue sans pareille. Et, tandis que la plupart des finales d’opéra, les meilleurs, les plus beaux, sont consacrés à l’explosion des sentimens d’une foule (second finale de Guillaume Tell ou Bénédiction des Poignards), ici la symphonie prodigieuse a pour objet principal, à peu près unique, une péripétie tout individuelle, l’action ou le drame qui vient de se nouer entre les deux héros.

Parmi les beautés pour ainsi dire énormes de l’œuvre de Wagner il convient de ne pas oublier, au second acte, avant la scène d’amour, l’entrée de Tristan guidé par l’écharpe d’Iseult, et la progression qui l’annonce et l’accompagne. Il faut surtout rappeler, au dernier acte, cette autre progression plus développée encore, qui va — de quelle