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LE FANTÔME

TROISIÈME PARTIE[1]


V. — UNE CONFESSION (Suite)
AUTRES FRAGMENS DU JOURNAL DE MALCLERC

1

Promontogno, 24 août 1892.

… Nous nous sommes arrêtés quelques jours ici, à mi-chemin entre l’Engadine et l’Italie, — cette douce Italie que je m’étais fait une joie de visiter avec Éveline, après avoir tant rêvé autrefois d’y vivre selon mon cœur, et avec Antoinette !… Quelles mélancolies m’y attendent maintenant ? Quelles déceptions ? Quels lancinemens de cette idée fixe qui a commencé de m’obséder ? Qu’aurai-je à écrire sur ce pauvre journal, que je reprends, pour me soulager de tant de silences, en me parlant du moins à moi-même, comme jadis dans d’autres heures ? — Alors, j’étais libre. J’allais, je venais, sans cette sensation d’un cœur si tendre, si dévoué, suspendu à chacun de mes mouvemens. Alors, je pouvais me laisser souffrir sans que ma souffrance eût aussitôt cette répercussion qui la double, sans ce supplice de rendre misérable par ma misère l’innocente enfant à qui j’ai juré protection. C’est une parole donnée, je dois la tenir. Et qu’est-ce que ce mot protéger veut dire, s’il ne signifie pas assumer sur

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 décembre 1900.