Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/601

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
VOYAGE AU JAPON

V[1]
L’IMAGINATION

Un jour que je visitais le château de Nagoya, un vieux samuraï m’indiqua dans une des salles basses un puits à la margelle rustique. Les anciens maîtres, me dit-il, par piété pour son eau salutaire, en avaient revêtu les parois d’une couche d’or. J’essayai d’apercevoir dans l’ombre cette richesse invisible. Et j’admirai non seulement comme autour d’une idée simple les Japonais déploient de faste inattendu, mais surtout comme ils prennent garde de le dérober aux yeux pour mieux l’imposer à l’esprit.

Un autre jour que je voyageais de Kyoto à Nara, mes compagnons nie montrèrent les coteaux d’Uji où se récoltait naguère le thé de l’Empereur. Ce thé n’avait point d’arôme spécial ni de saveur particulière, mais on en cueillait les feuilles les plus tendres avec, solennité, on multipliait le nombre des officiers qui le rapportaient au Palais, on renchérissait sa simplicité naturelle d’une pompe dispendieuse, on en faisait un breuvage inappréciable et rare, un élixir de noblesse, une délectation pour la pensée.

Quel étrange peuple que ce peuple japonais ! Sa vie est un perpétuel mélange de réserve et d’ostentation, d’élégance discrète et de bouffonnerie cérémonieuse. Jadis ses cavaliers de marque étaient accompagnés de deux palefreniers dont la présence

  1. Voyez la Revue des 15 décembre 1899, 15 janvier, 15 mars et 15 septembre 1900.