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Le projet du Conseil d’Etat exemptait de toute peine les coalitions de ce genre, les coalitions honnêtes, pacifiques ; il n’admettait pas d’une manière absolue le droit de coalition avec toutes ses conséquences. C’était une modification ; non une abrogation.

« Eh bien ! vous devez être satisfait ? me dit Morny. — Nullement. La distinction entre les coalitions frauduleuses et celles qui ne le sont pas, entre les coalitions paisibles et les coalitions violentes, est inadmissible. Qui jugera celles qui sont innocentes et celles qui sont coupables ? Les tribunaux ? les voilà alors maîtres du droit de coalition. La loi reprend d’une main ce qu’elle donne de l’autre : loin de m’en déclarer satisfait, je la combattrai de toutes mes forces, je ne me contenterai d’aucune modification, je veux l’abrogation complète. » Morny m’écouta sans m’interrompre, puis, après avoir réfléchi un instant, me dit : « Vous avez raison, il faut faire ou ne pas faire ; avoir l’air de faire serait déloyal et, comme vous le dites, imprudent. Il y a un moyen d’arranger cela : tâchez d’entrer dans la commission ; je vous y aiderai, modifiez la loi, je m’emploierai à ce que vos modifications soient admises et que vous soyez nommé rapporteur. »

Darimon eut avec l’Empereur une conversation analogue. Il avait accepté à dîner aux Tuileries. L’Empereur lui dit : « Je n’en ai jamais voulu aux Cinq, ils avaient été nommés pour faire de l’opposition, et ils ont rempli leur mandat. Je n’en veux qu’aux Quatre-vingt-onze, à ces députés qui avaient été élus pour soutenir l’Empire, qui ont contrarié ma politique à l’extérieur et ont cherché à me nuire et à me déconsidérer. Les Cinq m’ont fourni parfois des indications utiles : ce sont eux qui m’ont amené à proposer des modifications à la loi des coalitions ; la Chambre est saisie du projet de loi ; vous l’avez lu, qu’en pensez-vous ? — Je pense que toute la loi est à refaire. Le Conseil d’État n’a rien compris aux intentions de Votre Majesté. — Comment cela ? — Votre Majesté a voulu que la coalition fût libre ; elle l’est, d’après le projet de loi ; le fait de la coalition est considéré comme un acte licite ; mais, par une contradiction étrange, la provocation à la coalition est considérée comme un acte coupable. — Mais c’est absurde ! — C’est cependant là toute l’économie du projet de loi. — Que faudrait-il faire, à votre avis ? — Il n’y a qu’un système acceptable, c’est d’abroger les articles du Code pénal relatifs à la coalition et de les remplacer par des