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frappante des luttes qui agitaient les rues de la ville au moyen âge et parfois les ensanglantaient, comme dans cette journée de 1314 où les Salimbeni et les Tolomei en étant venus aux mains, le gouvernement des Neuf ne trouva d’autre moyen de séparer ces familles ennemies, que de faire courir le bruit de l’irruption des gens d’Arezzo dans le territoire de la République.

Mercredi 16. — En projetant de monter ce matin à la tour du Mangia, j’étais loin d’imaginer que je m’y rencontrerais avec un flot de contadini accourus des quatre coins de l’horizon, qui en chemin de fer, qui en voiture, à cheval, votre même à pied. Les trois cent soixante marches ne sont pas pour les effrayer. Le clocher aérien, seul point de la ville qu’ils découvrent au loin dans les fraîches couleurs du matin ou la pourpre des couchers du soleil, les fascine invinciblement. Si les marches sont hautes et inégales, ces jarrets montagnards les escaladent sans peine. À certains tournans, l’escalier est si bas, si étroit, si obscur, qu’il faut marcher courbé en deux, les mains étendues, pour éviter les heurts, se blottir dans les coins afin de laisser passer les jolies M lins de Toscane qui rient à gorge déployée, dans l’ombre, des contacts involontaires. Puis tout grandit, l’espace et le jour. Les éblouissemens se succèdent à intervalles plus rapprochés, au gré des ouvertures en meurtrières. Enfin, à force de grimper, on atteint une plate-forme supérieure, en plein ciel. Celui qui prétend se rendre compte du relief original et impérieux de Sienne doit accomplir l’ascension de la tour. De cette aiguille, le regard embrasse un pays tout entier, rouge brique et vert sombre, rendu plus austère encore par l’apparition intermittente des cyprès, alternativement fertile et sauvage, semé de monticules et de dépressions, propres aux marches nocturnes, aux embuscades, aux combats corps à corps. Contre les surprises du dehors, le Mangia dressa longtemps sa flèche aiguë. En ce temps-là, loin d’être isolé, toute une forêt de tours élancées lui faisaient cortège ; Sienne en était hérissée, comme aujourd’hui San Gemignano, mais avec la profusion qui convenait à sa puissance. Une tablette de Biccherna, peinte dans l’année funeste du sac de Rome, atteste que ces tours privées, orgueil des palais patriciens, n’avaient pas encore entièrement disparu en 1527. Aujourd’hui, le Mangia est resté maître de l’espace, avec un seul satellite, le campanile de la cathédrale.

Vue de ce belvédère, Sienne se présente sous la figure d’une