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gigantesque étoile de mer dont le corps et les branches, rongés, racornis, boursouflés, auraient séjourné longtemps sur une plage torride. Les arêtes saillantes, coupées d’échancrures, plongent dans des précipices. Sur certains reliefs elliptiques, les maisons se sont agglomérées en amas noueux ; les rues qui les sillonnent circonscrivent des proéminences en coques de navires. Les toits grisâtres, jaunâtres, sans éclat, absorbent la lumière. Seule la cathédrale, couverte de zinc, jette une note joyeuse dans le tableau. Unie à l’hôpital de Santa Maria della Scala, elle évoque l’idée d’une mosquée dont le campanile serait le minaret. Les extrémités des branches sont terminées par des éperons surmontés d’églises : le Carmine ; S. Agostino, les Servi di Maria, Santa Chiara, Santo Spirito, S. Francesco, Fontegiusta, S. Domenico. Aux yeux du voyageur, Sienne offre d’abord ses sanctuaires.

Du Campo encore désert, les notes nasillardes d’une mélopée à moitié orientale montent jusqu’à, nous, dans la paisible atmosphère. Je dis nous, car le gardien des cloches est venu s’accouder, comme je le suis, à la balustrade, non pour signaler à ses compatriotes l’approche de quelque chevauchée suspecte, hélas ! mais tout simplement parce que l’heure de la prova approche. « Una provaccia, signor, » me dit-il avec un dédain comique. Et nous engageons la conversation sur l’événement du jour. Il en sait long sur la course qui, deux fois l’an, se dispute à ses pieds.

Ce n’est pas ici qu’on gagne le palio, mais là-bas, et, me désignant du doigt S. Agostino, ses yeux sollicitent une question d’une façon si expressive que je feins l’étonnement pour lui permettre de continuer. Alors d’une voix basse, pleine de sous-entendus, avec des clignemens d’yeux imperceptibles, il me conduit, comme par la main, dans les mines et contremines, au moyen desquelles les intéressés s’efforcent d’annuler au détriment de leurs adversaires ou de maintenir à leur profit les chances qui dérivent de la valeur respective des champions. Travail acharné et subtil, dans lequel le Montone et la Lupa jouent, cette année, les premiers rôles. Autour de ces protagonistes, les autres contrade évoluent et se groupent au gré d’anciennes préférences ou selon l’inclination du moment. Et mon interlocuteur finit ainsi : « Voyez-vous, monsieur, pour gagner, il faut un bon cheval, ma supra tutto ci vuol quattrini, furberia e patriotismo, »