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demeures se regardent. La place reluit au soleil dans une blancheur immaculée. La variété des costumes qui s’y rencontrent ou s’y croisent engendre comme un éblouissement.

De toutes les comparse, celle de la Lupa obtient la palme sans contredit. Son capitaine semble porter des armes d’or, tant elles brillent au soleil. Serrés dans leurs costumes aux larges bandes alternativement blanches et noires, — les couleurs de Sienne et aussi celles de la cathédrale, — les Lupaioli marchent fièrement comme s’ils allaient, à la victoire. L’Onda défile la dernière : blanche et bleue très claire, elle offre bien l’emblème de l’eau reflétant un ciel sans nuage. Elle défile et s’éloigne dans la direction de S. Agostino, lieu traditionnel de la formation du cortège. Nous suivons l’Onda. Nous passons, dans son sillage, sous les fenêtres fleuries du palais des Buonsignori. L’église restaurée de S. Agostino heurte coin nie un paradoxe, blesse le goût comme un anachronisme. Sur la place, dans les rues voisines, les comparse sont noyées dans le flot montant du populaire. Une vague me sépare de mes compagnons. Là, devant mes yeux inexperts, se livre peut-être la bataille décisive, sous la forme de quelque pacte secret. Au milieu de la cohue, la chaleur devient insupportable.

Je me suis promis d’aborder cette fois le Campo par une de ces ruelles étroites qui dévalent dans la place à la façon des torrens dans un lac profondément encaissé. Le courant m’avant ramené à la via di Città, c’est vers la Macta Salaia que je dirige mes pas. Une sourde rumeur de cataracte lointaine m’avertit que j’approche. Sous une voûte surbaissée, le curieux vicolo descend par une pente si rapide que, sans le concours des marches, il serait à peu près impraticable. Au bout du couloir sombre, une tranche du Campo apparaît soudain, violemment éclairée. Dans la lumière dorée, une poussière humaine semble danser comme ces atomes impalpables qui voltigent dans un rayon de soleil filtrant à travers la fente d’un volet clos. La vision est imprévue, inoubliable. Le regard jeté brusquement par un profane sur une salle d’opéra, le jour d’une première représentation, par le trou du rideau, n’en donnerait qu’une idée incomplète.

Cinq minutes plus tard j’étais l’hôte du marquis Chigi Zoudadari, dans son magnifique palais du Chiasso Largo. Au premier étage, du côté de la place, règne un large balcon dont le propriétaire se plaît à faire les honneurs aux étrangers avec une parfaite