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paraissaient contenir des prospectus de négociant. Les adresses s’y lisaient déjà mises, — tous noms de militaires habitant Rennes ou Saint-Brieuc : Lemaire, général de brigade ; Mignotte, colonel de gendarmerie (4e légion) ; Sénarmont, commandant la 6e demi-brigade d’artillerie à pied, et Faucher, la 6e à cheval ; Pinoteau et le Conseil d’administration de la 82e d’infanterie ; Mayeux, commandant d’armes à Rennes ; Gautier, capitaine de gendarmerie à Saint-Brieuc ; le général Simon…

Expédiées de Rennes, pour y être aussitôt retournées ? Fort étrange, vraiment !… Auguste Rapatel, toutefois, ne s’étonnait pas : évidemment il attendait cet envoi. Il aperçut encore, au fond de la manne, un amas de placards et de brochures. Prenant une des plaquettes, il se mit à la feuilleter. Le titre lui en parut piquant, et la prose alléchante : Les moines des ordres de saint François au Premier Consul Bonaparte… Une belle capucinade !… Sa lecture amusait le jeune homme ; son âme de petit voltairien se délectait. De l’esprit, dans cette « pétition ; » de la verve et de l’irrévérence ! Comme on y persiflait le moine et le curé, le froc avec la soutane ! Demain la plaisante « calotine » serait exhibée à Moreau : Fresnière, la commentant, y ajouterait des facéties, et le général serait charmé… Laissant alors sa brochure, l’amateur de badinages ramassa l’un des placards plies au fond de la gresle, — et soudain, il demeura saisi… « Oh ! mais voilà qui devenait grave ! »

Oui, c’était chose fort grave en effet, — une invite audacieuse à la sédition, un vibrant appel à la révolte. Sous forme de proclamation, l’auteur de ce libelle apostrophait l’armée. Il reprochait aux généraux une criminelle inertie, leur dénonçait Bonaparte comme un malfaiteur, les incitait à renverser un tyran, à délivrer enfin la République, seule « Patrie » désirable pour un Français :


APPEL AUX ARMÉES FRANÇAISES PAR LEURS CAMARADES

SOLDATS DE LA PATRIE ! — Est-elle enfin comble, la mesure d’ignominie que l’on déverse sur vous depuis plus de deux ans ? Êtes-vous assez abreuvés de dégoûts et d’amertume ? Jusqu’à quand souffrirez-vous qu’un TYRAN vous asservisse, et laisserez-vous entièrement river les fers dont vous êtes enchaînés ? Qu’est devenue votre gloire, à quoi ont servi vos triomphes ?… Est-ce pour rentrer sous le joug de la ROYAUTE que, pendant dix ans de la guerre la plus sanglante, vous avez prodigué vos veilles et vos travaux, que