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Auguste s’était follement épris. Mais cette romanesque passion ne plaisait guère aux parens de l’officier ; son grand frère, l’ingénieur, faisait la grimace, et Mme Rapatel voulait une bru moins dédorée. Seule, toutefois, la gentille Minon encourageait les amoureux. On venait elle-même de la fiancer, et, toute à son bonheur, elle désirait voir des heureux. La sentimentale petite personne raffolait de sa douce Félicie, un cœur d’élite, une femme « sensible… » Oui, certes, et très sensible…

Un beau jour, elle disparut : la jeune fille avait brusquement quitté Rennes. De méchans bruits coururent sur son compte, et la médisance jasa. Les bonnes âmes, pourtant, défendirent la fugitive, et prétendirent connaître le secret du mystère : elle était allée à Paris, implorer la police pour un de ses parens.

Ce parent, cousin très éloigné, et d’ailleurs ne portant pas le même nom, — le citoyen François-René Vatar-Dubignon, avait longtemps été un homme d’assez grosse importance. Austère physionomie de jacobin, figure énergique et farouche, ce personnage mériterait beaucoup mieux qu’une sommaire mention. Sa douloureuse aventure, racontée plus longuement, mettrait en pleine lumière l’âme ténébreuse de Fouché : elle forme un épisode infamant en l’infâme existence de l’éhonté ministre. Mais, étrangère au « complot des libelles, » une pareille étude ferait par trop dévier notre récit. Signalons toutefois, au passage, le « crime » d’un malheureux qu’avec raison nos jacobins révèrent comme un martyr.

Depuis tantôt dix mois, René Vatar avait son gîte dans la prison de Pélagie. Condamné sans jugement à la déportation, on le voulait expédier à Cayenne. Sa faute était, en apparence, d’avoir rédigé autrefois un journal montagnard, voire babouviste ; — ces fameux Hommes libres que d’aucuns nommaient plaisamment les « Hommes Tigres. » Bonaparte abominait les « feuillistes » de cette espèce, et les persécutait, comme à plaisir. La police accusait, en outre, ce jacobin d’ourdir des intrigues politiques et de machiner des complots. Mais les « observateurs » mentaient : l’atroce mesure avait surtout pour raison d’être une effrayante manœuvre de Fouché… Naguère, les deux Bretons s’étaient connus ; Vatar (de Rennes) et Fouché (de Nantes) avaient longtemps été de tendres amis, et, en Fan VIII, ce bon René avait vendu à l’excellent Joseph la propriété de son journal. Mais le prix d’achat n’était pas entièrement payé : aussi, pour