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la plus moderne ? Vous avez des néologismes qui passeraient dans la prose, mais que je ne puis admettre dans la poésie. Le contraste entre le fond et la forme me frappe d’autant plus que j’aime beaucoup le fond et qu’il me semble qu’avec un peu plus de travail, vous auriez tout accordé. Je crois encore que l’école moderne trouvera que vos rimes ne sont pas assez riches. J’avoue que je ne suis guère sensible à ce défaut. La première affaire, c’est de satisfaire la raison ; l’oreille vient ensuite. Ces messieurs ont peut-être beaucoup plus d’oreille que de raison.

Je vous écris en grande hâte et dans un moment où je n’ai pas trop ma tête à moi. Partez-vous ? Allez-vous au Brésil ? Vous ne m’avez pas dit où vous demeuriez dans le mois de répit qu’on vous a donné. J’adresse cette lettre à l’hôtel Vouillemont, où je pense que vous logez si vous êtes à Paris, et où vous aurez laissé votre adresse. Adieu, cher monsieur, je viens d’avoir un rapport satisfaisant du docteur. Je vous serre la main et vous souhaite bon voyage, si voyage il y a.


Cannes, 7 février 1869.

Cher Monsieur,

J’ai eu tant de tracas depuis quoique temps que je n’ai ou ni le loisir ni le courage de vous écrire. En ce qui concerne Mlle Lagden, nos inquiétudes ont heureusement disparu. Elle est en pleine convalescence et commence à sortir. Elle a eu une fièvre muqueuse qui menaçait de devenir typhoïde et qui l’a tenue un mois au lit. Aujourd’hui, elle a pu faire sans trop de fatigue une promenade assez longue. Pour moi, je suis toujours fort patraque. Ma bronchite est au beau fixe. Cependant j’ai trouvé à Nice un chirurgien de l’armée d’Afrique, homme assez original qui m’a entrepris et qui m’a donné des pilules pour me préserver des spasmes que j’éprouvais la nuit. Je n’ai encore fait que deux expériences, mais elles ont réussi toutes les deux. Cela me donne quelque espoir pour l’avenir.

Que devenez-vous ? où allez-vous ? Quittez-vous l’Europe ? Le moment est mal choisi pour un curieux comme vous. Je crois tout possible par le temps qui court ; et pourquoi le petit peuple hellénique ne mettrait-il pas le feu à l’Europe ? On a vu tant de palais brûlés avec une allumette. Cependant les Grecs ont été de tout temps πολὺτροποι et ont eu peu de goût pour les coups. J’espère donc qu’ils entendront raison au dernier moment et qu’ils ne