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malgré quelques suspensions temporaires, en 1830 et 1848, s’est radicalement transformée.

On avait ri du censeur de la Restauration qui, dans le Journal du commerce, — les périodiques étaient alors soumis à la visite préalable, — avait supprimé cette remarque de la mercuriale des cafés : « Les bourbons bruts sont en baisse ; » mais les censeurs du second Empire ne furent pas moins susceptibles ; soit qu’il s’agît de veiller aux allusions politiques, soit que le souci des bonnes mœurs les talonnât : Émile Augier a raconté que la censure voulait lui faire infliger, au troisième acte des Lionnes pauvres, la petite vérole à son héroïne, pour la défigurer en punition de sa perversité. Il répondit que c’était impossible, attendu qu’elle avait été vaccinée. Diane de Lys fut interdite pendant huit mois. Le Roi Lear, de Shakspeare, Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, ne furent admis qu’à correction, et le rapport des censeurs estimait qu’autoriser Madame de Montespan, d’Arsène Houssaye, « risquerait de porter atteinte au respect dû au pouvoir souverain en mettant en relief les passions coupables de Louis XIV. » Les censeurs d’aujourd’hui sont exempts de pareils scrupules. Ils ne se croient pas mission de juger, moins encore de réformer le théâtre, et s’opposent seulement à ce qui leur semble de nature à troubler l’ordre matériel. Souvent ils ne donnent leur « visa » qu’après la répétition générale, afin de s’assurer, par l’expérience, de l’ « effet » sur le public, que tel mot un peu fort passera sans encombre. Depuis vingt ans, ils n’ont guère mis leur veto que sur une dizaine de pièces. de ce nombre, plusieurs ont été l’objet d’interventions diplomatiques : Mahomet, Juarez et l’Officier bleu, de la part de la Turquie, de l’Autriche et de la Russie.

Thermidor et Lohengrin furent arrêtés par le ministre de l’Intérieur, à la suite de manifestations tumultueuses. Le Pater, de M. Coppée, par une tirade contre la Commune, souleva les colères des communards devenus hommes d’État. La Journée parlementaire, de M. Maurice Barrès, sembla de nature à provoquer, dans une paisible salle de spectacle, des injures et des rixes qu’un pays libre réserve à l’enceinte législative. Au reste, la politique, depuis que le Français en est saturé tout le jour, n’amuse plus autant le soir, au théâtre. La censure interdit en principe les reproductions plastiques de notabilités vivantes, sans autorisation écrite du modèle ; aussi l’acteur, qui veut se faire la tête d’un