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imposais pas mes opinions, dit Véron, j’écoutais les siennes. Il jugeait tout suivant ses impressions personnelles ; je me surprenais quelquefois à rire de la justesse de ses critiques et du programme qu’il se traçait à l’avance, pour la répartition savante et graduée des applaudissemens. »

Ce n’était pas seulement les pièces qu’il fallait « chauffer ; » c’était aussi les artistes, et l’on ne voit pas sans surprise les plus glorieux attacher une importance extrême à ces marques d’admiration salariée. Rachel, jouant dans une comédie de Mme de Girardin, crut s’apercevoir que le parterre ne donnait pas avec une vigueur suffisante. Elle s’en plaignit ; on lui dit que le chef de claque, malade, avait dû se faire remplacer par un confrère du boulevard. Celui-ci, apprenant les plaintes de l’actrice, lui écrivit pour se disculper : « Mademoiselle, je ne puis rester sous le coup des reproches qui sont tombés sur moi d’une bouche comme la voire ; à la première représentation, j’ai donné 33 fois et toujours de ma personne : nous avons eu 3 acclamations, 4 hilarités, 2 tressaillemens, 4 redoublemens et 2 explosions indéfinies. Et même des stalles se sont fâchées et ont crié : « A la porte ! » Mes hommes étaient sur les dents… Dans cette situation, persuadée de mon zèle respectueux, j’ose implorer que vous ayez des égards pour moi, et je suis, Mademoiselle, etc. »

Tout allait bien quand le public était de l’avis des claqueurs ; mais souvent leur prétention de faire réussir un ouvrage « quand même » suscitait des contre-manifestations, spontanées ou concertées à l’avance, et la troupe des « cabaleurs » s’empoignait avec celle des « romains » les plus militans, gaillards vigoureux, aux épaules rudes et aux mains charnues. Force restait-elle à ces derniers, auxquels la police, soucieuse du bon ordre, prêtait assistance, les opposans, parmi lesquels se distinguait la jeunesse des écoles, témoignaient leur hostilité par des voies détournées, bien qu’ostensibles. Ils s’arrangeaient pour bailler bruyamment ou se couvraient la tête d’un bonnet de coton et ronflaient de concert.

Ces luttes héroïques sont démodées, autant que les manœuvres psychologiques à l’aide desquelles le chef de claque s’efforçait d’entraîner le public. Quelques « allumeurs » choisis étaient chargés de pousser des « ah ! » d’enthousiasme ou de tendresse, même de siffler à contretemps pour que les spectateurs, révoltés de l’injustice, applaudissent avec fureur. Aux