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suites funestes pour l’acteur timide et, partant, pour l’auteur. À l’Opéra, dit-on encore, dans les ouvrages de l’ancien répertoire, les applaudissemens encadrent à propos des morceaux dont le ton n’est pas le même, et dont la succession, sans la claque, serait choquante. Le compositeur a compté sur elle pour opérer les transitions. Dans les ballets, la claque, partant avant la fin d’une variation, est un coup de fouet pour la danseuse épuisée, à bout d’haleine, à qui l’on crie aux répétitions : « Courage ! Courage ! » Les bravos l’aident à achever son pas.

Pour l’observateur sans préjugés, la claque n’est cependant qu’une tradition assez niaise, dont on ne s’expliquera pas la longue durée une fois qu’elle aura disparu. Inconnue en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en Autriche, elle n’existe nulle part ailleurs qu’en France ; encore est-elle inusitée à Paris dans les théâtres de quartier. Ses partisans font valoir en sa faveur que, supprimée en mainte salle, elle a toujours été rétablie, parce que le silence du public jetait un froid terrible. Mais les Parisiens, livrés à eux-mêmes, sont tout aussi capables d’applaudir que les autres peuples. Ils en donnent la preuve aux concerts symphoniques du dimanche, aux premières représentations, partout où les marques d’approbation sont en usage. Et, s’il est de « bon ton » de s’en abstenir dans nos théâtres, n’est-ce pas précisément la claque qui en est cause ?

La fréquence et l’intensité des applaudissemens est-elle d’ailleurs si nécessaire ? Est-il rien de plus sot, de plus contraire à l’illusion, souhaitée de tous et pour laquelle on fait tant de frais, que ce tapage qui éclate au milieu d’un acte et le gâte en le coupant, jusqu’à suspendre les répliques ? L’acteur habitué aux scènes américaines, où les trépignemens n’ont pas de limite, ou les bis et les ter ne se comptent pas, où le public ne se gêne pas pour interrompre l’action par des rappels multipliés, trouverait un peu dure peut-être l’absence totale de bruit des Opéras de Vienne, de Munich et de Berlin, où l’on attend la fin des actes pour applaudir. Mais, entre ces deux extrêmes, les gens de goût n’hésitent pas, et les artistes, à recevoir les ovations en bloc, ne perdent rien.

Le jour n’est pas loin peut-être où la claque cesserait d’accomplir sa lâche, devenue purement machinale, si ses chefs n’avaient pris, sur un terrain nouveau, autant d’importance que leurs subalternes en perdaient dans leur ancien emploi. Ce