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plus que tout le monde : « À l’égard de la Reine-Mère, dit le nonce Corsini, le Roi est plein de soupçon qu’elle ne veuille l’assujettir comme du temps de Concini. Lorsqu’on voit auprès d’elle l’évêque de Luçon, on peut redouter que celui-ci ne prenne pied trop avant ; car sa cervelle est ainsi faite qu’il est capable de tyranniser la mère et le fils. »

Cependant les ministres avaient bien compris qu’ils n’étaient pas assez forts pour résister seuls à l’intrigue de la Cour et à l’influence de la Reine-Mère, conseillée par un homme tel que l’évêque de Luçon. Ils cherchaient, autour d’eux, des appuis ; ils se rapprochèrent du prince de Condé. Celui-ci était accouru de Berry à Châteauneuf-sur-Charente, aussitôt la mort du connétable, pour saluer le Roi. C’était un homme hardi, ambitieux, impudent, haut à la main, de langage mordant et qui se considérait toujours comme l’héritier du trône, en cas de disparition soudaine du Roi et de Gaston d’Orléans, sans postérité. Après avoir lié partie avec les protestans, pendant la Régence, il s’était, après sa captivité, donné corps et âme au parti catholique et il résumait sa politique présente en une formule très simple : opposition constante à la Reine-Mère. Il devint donc, à la Cour, l’allié naturel des ministres. Mais ils étaient, à ses yeux, de bien petites gens, et il était décidé à les mettre dans sa poche. Il commença par rompre en visière à la Reine-Mère. Ce fut encore le fameux Ruccellaï qui fut la cause active de ces nouveaux dissentimens. Une querelle très vive qu’il sut provoquer rompit toutes les mesures si prudemment prises par l’évêque de Luçon, Marie de Médicis s’emporta, cassa les vitres, prétendit mêler la Reine régente à la querelle, et le Roi dut, avec froideur, la ramener à la raison.

Il fallait donc, au moins pour un temps, s’accommoder de cette situation nouvelle qui n’avait, au fond, qu’une seule raison d’être et de durer : la crainte que l’évêque de Luçon inspirait au monde politique, tandis qu’une opinion universelle l’appelait aux affaires. Il était indispensable, il était inévitable ; mais précisément à cause de cela, il était odieux. Toutes les médiocrités étaient conjurées contre lui. Elles l’eussent emporté, si elles n’eussent été des médiocrités.

Il comprit qu’il fallait attendre encore. Mais il se rendait compte ainsi que la situation était déjà différente de ce qu’elle était du temps du connétable. Personne n’était plus assez fort,