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D’ailleurs, Rome était lasse du double jeu qu’on lui faisait jouer. Le pape déclarait au cardinal de Sourdis qu’il ne ferait plus de promotion sans y comprendre l’évêque de Luçon. Quand les choses sont sur le point de se faire, tout le monde s’y emploie avec ostentation. Le nonce Corsini, qui eût voulu temporiser pour se réserver le chapeau à lui-même, est débordé. Enfin, Louis XIII se déclare : « Le Roi ayant su qu’on cherchait encore à empêcher la promotion de l’évêque de Luçon, s’est mis en colère et a commandé à son ambassadeur, nonobstant tout ce qui a pu être dit au nonce, de faire de vigoureuses instances en faveur de Richelieu. »

Les ministres n’avaient plus qu’à s’incliner. La mort dans l’âme, et sentant bien qu’ils signaient leur perte, ils transmirent les ordres du Roi et demandèrent sans réticence, cette fois, la nomination de Richelieu comme « cardinal de couronne. » Puisieux écrit : « J’ai fait mon office en faveur de l’évêque de Luçon contre l’attente de plusieurs. Mais, vous savez mon humeur qui est, après Dieu, de préférer l’intérêt du Roi à toutes passions et considérations privées.

L’évêque de Luçon fut promu cardinal, le 5 septembre 1622.

La nouvelle annoncée au Roi, par son ambassadeur, le commandeur de Sillery, frère de Puisieux, dans une lettre datée du jour même, fut connue à Avignon, le 14 septembre. Aussitôt, Marillac la transmit à la Reine, qui était en route pour se rendre de Pougues à Lyon « Monseigneur, écrivait-il au nouveau cardinal, la Reine vous dira de sa bouche s’il lui plaît que vous êtes cardinal ; car je n’oserais entreprendre sur Sa Majesté de vous annoncer cette bonne nouvelle. » En effet, c’était bien le moins que Marie de Médicis lui apprît elle-même ce qu’elle avait fait de lui. La lettre fut reçue par la Reine à la Pacaudière, bourg entre La Palisse et Roanne. Nous ne savons rien de ce qui se passa cotre la veuve de Henri IV et le nouveau cardinal. Mais il est permis d’imaginer les effusions intimes d’une femme déjà sur le déclin au moment où elle assurait la fortune de l’homme jeune et supérieur qu’elle avait su choisir.

Une fois assuré de l’avenir, le nouveau cardinal montre ce qu’il est : un homme fait pour commander aux hommes. Le voilà, soudain, dans son naturel. Il entre dans son personnage avec une dignité et une aisance parfaite. Pas un mot d’édification ; aucune affectation, aucune mômerie. La pourpre, c’est, pour lui,