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sont là, non pas en raison de leur mérite, mais uniquement pour empêcher l’arrivée au pouvoir de l’homme qui, seul, dans ces circonstances difficiles, serait capable de conduire les affaires. On sait que le Roi, jeune, ignorant et obstiné, est entretenu, savamment, dans l’idée que cet homme sera, pour lui, non un ministre, mais un maître. On sait que toute la Cour appréhende le retour aux affaires du personnage dévoué uniquement au bien public, qui planera au-dessus de tous les intérêts louches, de toutes les intrigues basses et qui mettra, s’il le faut, tout le monde à la raison. Les médiocrités restent coalisées contre lui et font bloc dans cet étroit espace qui s’appelle la Cour. Ce qu’elles détestent en lui, c’est sa capacité, son intégrité, cette âme altière qui ne veut pas dépendre. Les quelques mois qui s’écoulent maintenant ne sont rien autre chose que la lutte entre l’ascension fatale d’un génie nécessaire et la résistance lamentable d’une coalition qu’épouvante sa marche irrésistible. Il l’écrivit lui-même, plus tard, rappelant les temps médiocres : « J’ai eu ce malheur que ceux qui ont pu beaucoup dans l’État m’en ont toujours voulu, non pour aucun mal que je leur eusse fait, mais pour le bien qu’on croyait être en moi, Ce n’est pas d’aujourd’hui que la vertu nuit à la fortune et les bonnes qualités tiennent lieu de crimes. On a remarqué de tout temps que, sous de faibles ministres, la trop grande réputation est aussi dangereuse que la mauvaise et que les hommes illustres ont été en pire condition que les coupables. » C’est encore un mot qu’il faut lui emprunter « il n’y avait qu’à laisser faire le temps et à se consoler en cette attente.

Autour de lui, les vœux et les témoignages abondent ; son grand adversaire d’autrefois, le Père Arnoux, s’écrie : « Quand donc prendrez-vous le timon ? » Balzac signale ces « capacités que Dieu promet longtemps aux hommes avant que de les faire naître. » Voici, maintenant, l’avis de Malherbe dans une lettre qu’il écrivait un peu plus tard, dans l’intimité, à son ami Racan : « Vous savez que mon humeur n’est ni de flatter ni de mentir, mais je vous jure qu’il y a, en cet homme, quelque chose qui excède l’humanité et que, si notre vaisseau doit jamais vaincre la tempête, ce sera tandis que cette glorieuse main en tiendra le gouvernail. »

Voici la voix publique, qui s’exprime en termes naïfs et sincères :