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REVUE LITTÉRAIRE

UN NOUVEAU LIVRE SUR STENDHAL

Beyle a eu une destinée assez extraordinaire. Il ne fut nullement goûté de ses contemporains, ce dont il conçut un vif chagrin. Son livre de l’Amour passa presque inaperçu : il eut en onze années dix-sept acheteurs. L’impression produite par Le Rouge et le Noir fuit surtout celle du scandale ; et ce fut prudence à l’auteur de la Chartreuse de Parme de dédier son livre à quelques lecteurs de choix. Quand Beyle mourut, il avait si peu de réputation que les journaux estropièrent son nom réel, et confondirent son nom de guerre avec le titre d’un roman de Kératry : ils annoncèrent la mort de « M. Bayle, plus connu dans le monde littéraire sous le pseudonyme de Frédéric Styndall. » Il n’était pas l’un des plus profonds parmi les « écrivains penseurs de son temps ; il n’était à aucun degré un « écrivain artiste ; » pourtant c’est l’un de ceux dont l’influence a été le plus réelle. On peut la suivre de façon ininterrompue à travers tout le XIXe siècle. Beyle a « déteint » sur Mérimée, auquel il a transmis son tour d’esprit d’ironiste et de mystificateur, son affectation de sécheresse, sa prédilection pour les époques et les pays de mœurs violentes. Il a aidé Balzac à discerner cette ambition effrénée et ce désir de parvenir à tout prix dont est travaillée l’âme de ses jeunes gens. Taine s’est rencontré avec lui, parce que l’un et l’autre avaient fréquenté chez les mêmes maîtres, les philosophes sensualistes du XVIIIe siècle ; il lui a emprunté des vues dont Beyle n’avait sûrement pas soupçonné la portée, et qu’il a développées et organisées en système de critique ; il lui doit encore ses idées sur l’énergie, sur la vie de