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M. de Marillac en mission confidentielle. Les instructions sont rédigées par Richelieu. Elles le prennent de haut au sujet de cette affaire des fortifications d’Angers, « tant célèbre dans l’histoire. » Ce ne sont d’ailleurs que plaintes, récriminations de toutes sortes, et celle qui fait toujours le fond de la querelle, à savoir qu’on ne donne pas à la Reine-Mère entrée au Conseil.

Même langage, et plus accentué encore, dans les lettres adressées, presque chaque jour, au bon archevêque de Sens, qui sert d’intermédiaire. La Reine se plaint que le connétable « méprise d’avoir son amitié. » Tandis que Luynes écrit encore à l’évêque de Luçon, le 9 juillet, avec ses phrases excessives : « Je voudrais avoir donné de mon sang et que vous fussiez avec nous, l’évêque réplique sur un ton très haut : « M. le connétable me fait l’honneur de me mander que quelques-uns philosophent sur le voyage de la Reine ; et il me le mande obligeamment pour Sa Majesté, vu qu’il dit qu’il en fait un jugement contraire. » Les deux hommes se mesurent à ce simple rapprochement.

Luynes prétend se servir encore de la tentation du chapeau ; il en parle à Marillac : Richelieu répond en envoyant des nouvelles de Rome où La Cochère lui dit combien la Cour de France travaille mollement à la promotion, et il ajoute simplement : « Mon intérêt n’est nullement considérable ; celui de la France ne l’est pas peu, qui recevrait deux affronts de suite. Sur tout cela, je vous laisse faire ce que vous estimerez à propos. »

La mission de Marillac n’arrange rien, et Richelieu le fait encore savoir à Luynes dans une lettre extrêmement polie, mais nette : « La Reine vous tient « très bon ; » ce sont ses paroles ; mais elle croit que vous vous rendez facile à. recevoir de mauvaises impressions en ce qui la touche et que vous êtes détourné par autrui, et non par vous, de beaucoup de choses qui pourraient lui apporter contentement. »

Et, en même temps, l’archevêque de Sens reçoit une bordée terrible de la Reine elle-même. On dirait qu’on entend la grosse femme : « Le sieur de Marillac m’a rapporté que mon cousin le connétable lui avait dit que quelques-uns faisaient mauvais jugement de mon voyage. Je me moque de leurs jugemens… Si c’est faute d’être inutile dans les chaleurs du Languedoc, j’ai tort, mais pas autrement. Si j’étais utile à ce qui se fait, je mépriserais ma santé… Mais je ne puis digérer le mépris ; j’ai le cœur grand ; je ne suis point trompeuse, je ne le serai jamais.