Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

royale avait affaire à une population ardente, passionnée, soulevée par le fanatisme et, disons-le pour être complet, excitée par des intérêts particuliers. Depuis près d’un siècle, en effet, les biens des catholiques, dans la plupart des villes du Midi, avaient passé aux mains des calvinistes. Par une sorte d’aboutissant naturel des luttes politiques, parmi ces populations âpres et sans frein, une sorte d’éviction générale s’était produite. Or, l’exemple du Béarn prouvait que la restauration du pouvoir royal était suivie, infailliblement, de la restitution des biens usurpés, et notamment des biens ecclésiastiques. Les intérêts travaillaient donc dans le même sens que le zèle religieux.

Partout les prédicateurs agitaient les foules et ne faisaient que traduire les sentimens populaires en les exagérant. Toutes les décisions à prendre étaient délibérées dans les temples ou sur les places publiques. Dans chaque ville, le parti formait un véritable gouvernement. Ces tribuns étaient des hommes austères, froids, vêtus de la robe noire, se répandant en paroles abondantes et mêlant les citations de l’Écriture à la savoureuse et dramatique improvisation méridionale. Ils agitaient les esprits et les précipitaient vers les solutions extrêmes, remplissant les villes de rumeurs, les esprits de méfiances et les délibérations de surprises bruyantes longuement ménagées. L’excitation de la parole, l’engagement des déclarations publiques, l’aigreur du soupçon, le courage naturel à ces peuples, l’ardeur de la foi, l’ivresse du péril, tout contribuait à les jeter, — orateurs et auditeurs, — dans une sorte de folie tumultueuse qui, souvent, touchait à l’héroïsme.

Rien de tel dans l’armée royale. On se battait pour Luynes, et cette idée n’était pas de celles qui excitent l’enthousiasme. Une plaisanterie constante tournait autour du pauvre homme. La noblesse de la Cour, téméraire et folle, s’exposant et se faisant tuer par bravade, se vengeait du chef qu’on lui imposait, en l’accablant de cuisantes piqûres. On répétait les Plaintes de l’épée du Connétable :

Ha ! que fais-je au foureau, lâche et perfide épée,
Que, comme au temps jadis, je n’assiste mon Roi,
Et faut-il, qu’au lieu d’être à cette œuvre occupée,
L’araigne, jour et nuit, fasse un fuseau de moi !
Les grands Montmorencys, en semblables querelles,
M’avaient accoutumé à m’abreuver de sang…