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En un mot, cette campagne, décidée par un homme d’État de la petite fauconnerie, commandée par un connétable de carton, était traitée, par toute la Cour, comme une aventure un peu folle, mais sans risque sérieux. Personne ne songeait aux liens qui la rattachaient aux affaires générales européennes, très peu même étaient assez clairvoyans pour comprendre le péril que l’on faisait courir, à un jeune roi inexpérimenté, dans les premières années de son pouvoir personnel. On en était encore à la « drôlerie » des Ponts-de-Cé.

Le premier avertissement vint de la résistance de Clairac. Cette villette tint bon plusieurs jours et il fallut sacrifier du monde et plusieurs gentilshommes pour l’emporter d’assaut. Cependant, on prit, dans la ville, un officier protestant, nommé Sauvage, qui promit que, si on le laissait faire, il saurait, par des moyens à lui, amener la reddition de Montauban, qui était la capitale militaire du Languedoc. Des hommes expérimentés conseillèrent à Luynes d’aller mettre le siège devant La Rochelle. Mais les promesses de ce Sauvage le séduisirent. Le connétable était homme à s’engouer de ces procédures louches. Il se décida donc à venir, avec l’armée royale, mettre le siège devant Montauban. Il était plus enclin à traiter qu’à combattre.

La résistance avait été habilement et fortement organisée. Rohan ne s’était pas enfermé dans la place ; il avait compris que la confiance de ses défenseurs serait dans l’espoir d’un secours. Mais La Force y était, ainsi que son fils d’Orval, un certain nombre de gentilshommes huguenots accourus des Cévennes pour aider leurs frères, et surtout plusieurs ministres et hommes de robe, gens de vertu, de sang-froid et de résolution : Dupuy, Charnier, Constans, Bardou, Natalis. Le siège fut mis devant la ville, à une époque déjà avancée de l’année, le 17 août. Luynes comptait sur ses négociations pour obtenir la capitulation presque sans coup férir. Mais les assiégés lui enlevèrent une première illusion en mettant la main sur son émissaire, Sauvage. Celui-ci fut interrogé, soumis à la torture et puis pendu, non sans avoir fait des aveux complets. Cette exécution découragea les traîtres.

La place ne fut jamais complètement investie. On n’avait pas assez de monde. Le Roi prit séjour à Piquecos, nid d’aigle perché sur une haute colline dominant la vallée du Lavarion, à une bonne lieue de Montauban : on ne voulait pas l’exposer de trop près, ni le faire vivre au milieu des troupes. Il y eut plusieurs