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l’armée royale, par la mort du duc du Maine. Il appartenait à la famille de Guise ; il était brave, libéral, aimable ; le peuple l’adorait. Il s’exposait follement. Un coup de mousquet le tua dans la tranchée, le 12 septembre. Sa mort eut, dans tout le royaume, un immense retentissement. À Paris, la population se souleva et se porta au temple de Charenton, « pour venger cette mort et tuer les huguenots. »

Le siège tournait au désastre. Depuis le début, une grave épidémie de fièvre pourpre sévissait sur l’armée royale. Les eaux étaient malsaines, l’air empesté ; on ne suffisait plus à soigner les malades et à enterrer les morts ; les effectifs fondaient à vue d’oeil ; tout autour du Roi, de grands personnages étaient atteints ; la personne royale était donc en péril ; dans tout le royaume, on blâmait l’imprudence de l’homme qui avait exposé ainsi un jeune Roi, sans postérité.

Enfin, le 28 octobre, Rohan, qui tenait la campagne, fut assez habile pour faire pénétrer dans la place un secours de quelques centaines d’hommes. C’était renouveler les forces et surtout la confiance des défenseurs de la ville. On essaya de négocier encore. Mais toutes les propositions furent rejetées. Le peuple devenait d’une arrogance sans pareille. Les bruits les plus encourageans se répandaient dans la ville : on disait que le Roi était dégoûté de la longueur du siège, qu’il allait quitter Piquecos pour s’éloigner de son camp contaminé ; on disait qu’à Piquecos même, les plus grands personnages de la cour se mouraient ; on citait « l’archevêque de Sens, grand ennemi de notre religion, Phelypeaux sieur de Pontchartrain, secrétaire d’État du Roi, « aussi notre grand adversaire. » On disait que les chefs les plus expérimentés, comme M. de Lesdiguières, M. d’Estissac, avaient demandé au Roi congé de se retirer. Il est vrai que la maladie sévissait aussi dans la ville. Mais la foi et l’espérance soutenaient tous les cœurs.

On était au 10 novembre. L’hiver était commencé, des pluies continuelles rendaient le camp intenable. Rien n’avait été prévu, ni abris durables, ni approvisionnemens, ni hôpitaux ; l’artillerie était sans munitions (on avait tiré seize mille coups de canon) ; en raison de l’état des chemins, on était exposé à manquer de vivres. Il fallut bien prendre le parti de lever le siège. On décampa. Le Roi pliait bagage devant ses sujets. « Le mercredi 10, le Roi quitta son logis de Piquecos et vint loger à Montbeton.