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Il passa, en y allant, devant mon logis et me dit, la larme à l’œil, qu’il était au désespoir d’avoir reçu ce déplaisir de lever le siège. » (Bassompierre.)

Luynes accusait tout le monde. Il accusait la Reine-Mère d’avoir voulu fomenter un tiers-parti dans le royaume. Il s’en prenait au temps, à la saison, aux troupes, aux généraux qui commandaient sous ses ordres. Payant d’audace, il écrit au prince de Condé une lettre où il lui reproche « qu’au milieu de ses plaisirs, il parle avec liberté d’une personne qui couche tous les jours de son reste pour le salut de l’État, » mais, ajoutant « qu’il espère d’être quelque jour assez heureux pour faire sentir à ses ennemis l’injustice de leurs plaintes. »

Au fond, il se sent perdu. La honte et l’impuissance le dévorent. Il n’ose pas ramener le Roi à Paris, ni affronter, lui-même, sous le coup de son échec, la raillerie de la grande ville, où la Reine, Marie de Médicis, est rentrée en hâte. Autour de lui, ce ne sont plus que plaintes, blâme, défection, piège, péril. La Cour se venge et se prépare à l’accabler, s’il tombe. Ruccellaï seul lui restait fidèle.

En désespoir de cause, il se décide à aller mettre le siège devant Monheurt, petit château proche de Toulouse, qu’on croyait pouvoir emporter en un tour de main ; du moins, la campagne ne se terminerait pas sur un échec. Mais Monheurt se défend. Le connétable perd tout courage. Il fait venir un de ses amis, Contades : « Contades, dit-il, voilà ma compagnie défaite, Montauban que nous avons failli, Monheurt que nous ne pouvons prendre, les Huguenots, qui ne sont rien en effet, et qui résistent à la puissance d’un grand Roi. Qu’est-ce que cela ? » Contades répondit que c’était la saison, les maladies, les pluies. « Non, dit-il, Contades, mon ami ; il y a autre chose que je ne puis dire. » Richelieu ajoute qu’il sentait que « Dieu n’était pas de son côté. »

Cet homme, qui avait été si constamment heureux, ne put supporter un pareil retour de la fortune. Dans les premiers jours de décembre, il fut atteint, lui-même, de la maladie. Il s’alita, se sentant frappé à mort. Ruccellaï, qui se piquait d’originalité, le soigna avec un dévouement touchant. L’éruption se fit mal et rentra. Le 15 décembre, Luynes était mort. La destinée, qui arrange si bien les choses, fit mourir, avec la faveur, le favori.

Louis XIII vit la mort de Luynes avec la froideur d’un