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alors vers les États-Unis, qui, eux aussi, avaient pu avoir à se plaindre de lui et, eux aussi, avaient pu prendre quelques précautions contre lui, mais qui, pensait-il, oublieraient vite ses torts, si l’Europe se plaçait envers eux dans le tort incomparablement et infiniment pire d’offenser la doctrine de Monroë, de manquer au premier de leurs principes, consacré et posé par un siècle d’histoire comme la condition même de leur existence, comme la règle même de leur politique : l’Amérique aux Américains. A la Maison-Blanche, on affectait de ne pas entendre, et, sans doute pour ne pas encourager le général dans une résistance entêtée, on lui laissait entendre, on lui faisait même expressément savoir que « la doctrine de Monroë n’a nullement pour objet de protéger les républiques sud-américaines dans les tentatives qu’elles peuvent faire pour se soustraire à leurs engagemens ; » et qu’en conséquence on avait « informé l’ambassadeur d’Angleterre que les États-Unis ne font pas la moindre objection à ce que la Grande-Bretagne saisisse les douanes vénézuéliennes, à l’effet d’assurer le paiement des indemnités dues à ses nationaux. »

Vainement le président Castro revenait sur ce point, qu’il jugeait décisif : l’occupation par les autorités anglaises de l’île de los Patos, — n’y avait-il pas là violation du sol américain ? — les États-Unis se contentaient de la déclaration de l’ambassadeur d’Angleterre, que « la Grande-Bretagne n’a pas l’intention de s’établir à demeure sur le territoire du Venezuela ; » et, comme la même déclaration était faite par l’Allemagne, ils ne pouvaient, concluaient-ils, que rester neutres.

L’intervention armée des deux puissances, Angleterre et Allemagne, se dessinait très vigoureuse : six vaisseaux anglais, six vaisseaux allemands ; et, en Allemagne, on déplorait que l’amirauté ne fît pas davantage et n’en envoyât pas trois de plus, ainsi qu’il en avait été question. De toute manière, on voulait que le différend avec le Venezuela fût tranché une bonne fois par ce qui tranche une fois pour toutes, par l’épée. « Autrement, disaient les Berliner Neueste Nachrichten, le seul résultat aura été d’endurcir le président Castro dans son insolence et de lui permettre peut-être de se vanter de nouveau d’avoir repoussé les navires de guerre allemands avec quelques tonneaux de bière. »

Un peu refroidi dans son espérance de voir les États-Unis interposer entre les alliés et le Venezuela la doctrine de Monroë, le Président faisait appel au sentiment national, à cet orgueil de race toujours vivant dans toute population de sang espagnol, à cette chevalerie qui ne déteste pas et recherche même avec une noble folie les batailles