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une mer dont elle est riveraine, et où elle a repris toute sa liberté. Son intérêt se confond ici avec celui de la Porte.

On peut trouver dès lors qu’elle commet quelque imprudence en réclamant, fût-ce à titre tout exceptionnel, une faculté qu’elle serait très fâchée de voir accorder à autrui. Mais sa situation dans la Mer-Noire est unique. Elle est dans cette mer ; elle y a des eaux territoriales, ce qui n’est le cas, ni de l’Angleterre, ni d’aucune autre puissance chrétienne ; de sorte que, si une de ces puissances, et l’Angleterre, par exemple, demandait l’autorisation d’introduire un navire de guerre dans une mer ou elle n’a rien à faire, la Porte pourrait lui demander des explications embarrassantes. Néanmoins, le point de vue anglais se comprend très bien, au Congrès de Berlin et depuis. Les journaux de Londres ont paru un peu divisés au sujet de la protestation adressée par leur gouvernement à la Porte ; ils ne le sont que pour la forme. En réalité, ils pensent tous ce qu’ont dit quelques-uns d’entre eux, à savoir que les stipulations relatives à la clôture hermétique des détroits se rapportent à un état de choses antérieur, et qu’il y a lieu de les modifier. Il est douteux toutefois que la Porte y consente, et la Russie l’aiderait au besoin dans sa résistance. L’incident, on le voit, ne pouvait pas avoir de portée, ou du moins de suite immédiate : mais il est significatif.


M. Sagasta n’a pas survécu à sa chute du ministère : il est mort au bout de quelques semaines, laissant le souvenir d’un homme habile, souple, conciliant, un peu désabusé par une longue expérience des hommes et des choses, n’ayant pas eu les grandes facultés d’un homme d’État de premier ordre, mais largement doué des qualités moyennes et solides, en somme, avec lesquelles on fait vivre longtemps un régime politique. Sa vie se partage en deux périodes distinctes. Dans la première, il a été un révolutionnaire ardent, condamné à l’exil, conspirant à l’étranger contre le gouvernement de son pays ; dans la seconde, après la révolution de 1868, et encore plus après la restauration de 1874, c’est-à-dii-e après l’avènement d’Alphonse XII, il a été un des plus fidèles et des plus utiles serviteurs de la monarchie. La génération actuelle n’a connu que sa seconde manière. Elle a vu en lui un libéral assagi, mais resté libéral, homme de gouvernement, capable de fermeté au besoin et pourvu qu’on ne lui en demandât pas une trop longue continuité, recherchant avec une préférence de plus en plus marquée les solutions transactionnelles et les ministères de conciliation. Pendant plusieurs années, il a été, avec M. Canovas del