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Ailleurs encore, c’est un semis de fleurs bleues, lapis et turquoise… Et presque toujours la vue plonge d’une salle dans une autre, à travers ces plaques de marbre, ajourées en dentelle, qui remplaçaient, dans l’Inde ancienne, les stores de nos grossières demeures.

Le vent de famine qui tourmente les bosquets du jardin muré disperse les dernières feuilles comme un vent d’automne ; aujourd’hui les feuilles mortes, dans ce palais du silence, arrivent par tourbillons. Et un grand arbre, encore en fleurs, sème comme une pluie ses larges calices rouges sur le pavage blanc, le pavage précieux de la salle du trône.


IV. — DANS LES RUINES

Tout le pays qui fut habité par les empereurs mogols est aujourd’hui un immense ossuaire de villes et de palais. L’Egypte même n’a pas autant de ruines sur ses sables que cette région sur sa terre mourante. Là-bas, au bord du Nil, c’est le monde des granits monstrueux ; ici, les marbres ciselés, les grès à jours, les dentelles de pierre, au milieu de la morne campagne, gisent partout comme choses perdues. Dans cette Inde, où la pensée et l’activité humaines fermentèrent magnifiquement pendant des siècles, les débris des âges antérieurs sont innombrables, et leur profusion, leur beauté, confondent nos imaginations modernes. En plus des villes qui s’anéantirent à la suite de guerres et de massacres, il en est d’autres dont la construction fastueuse fut décrétée par le caprice de tel ou tel souverain et que l’on n’eut pas le temps de finir ; il est des palais destinés à telle sultane du temps passé, qui usèrent des peuplades de sculpteurs et n’eurent jamais d’habitans.

Entre Delhi et les ruines d’une capitale des vieux âges, dont la tour de granit rose[1] est peut-être la plus haute tour du monde, on rencontre tout le long du chemin des fantômes de villes ou de forteresses : murs crénelés de trente ou quarante pieds de haut, fossés et pont-levis ; là-dedans, personne ; du silence, ou, si l’on entre, des fuites éperdues de singes parmi des pierres éboulées et des broussailles.

Il y a des nécropoles aussi, des nécropoles dont on ne voit

  1. La tour de Kutb.