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les ateliers de la compagnie et reviennent y mourir, ou plutôt elles sont immortelles. Dans une ville où 45 000 véhicules, dont les deux tiers servant au transport des personnes et un tiers à celui des marchandises, circulent chaque jour, les accidens sont d’autant plus inévitables que les points d’encombrement ont beau varier, de l’été à l’hiver, de l’après-midi à la soirée, du samedi au dimanche ; de nouveaux itinéraires ont beau remplacer les anciens, privilégiés il y a 50 ans, aujourd’hui déserts ; la foule continuera toujours à affluer aux mêmes heures dans les mêmes voies.

La principale rue des quartiers de Grenelle ou de Vaugirard est sillonnée du matin au soir par 2 ou 3 000 voitures, tandis que l’intensité du mouvement est de 8 000 sur le boulevard Saint-Michel, sur le pont de la Concorde de 10 000, et de 14 000 dans la rue Royale. Et l’on se rend mieux compte du degré d’envahissement de certaines artères, en métrant leur largeur comparée au nombre d’équipages qui les arpentent : sur le boulevard des Italiens passent chaque jour 24 000 chevaux attelés, et 42 000 devant le numéro 156 de la rue de Rivoli ; mais ce boulevard a 18 mètres de large et cette rue n’en a que 12. Ce qui, pour cette dernière chaussée, correspond, sur chaque mètre de largeur, à une succession quotidienne de 3 500 chevaux traînant des « paulines » ou des phaétons, des victorias à huit ressorts ou des binards de pierre de taille, des camions ou des omnibus. Parmi les piétons qui s’aventurent au milieu de cet emmêlement de bêtes et de roues, on compte annuellement 1 700 victimes, plus ou moins grièvement blessées, et 76 y trouvent la mort. Non moins redoutables sont ces voitures les unes pour les autres ; les accidens coûtent à la Compagnie générale 350 000 francs par an, sans parler des menues avaries que réparent les spécialistes répartis dans ses dépôts.

Quand le mal est plus grave, le fiacre est envoyé aux ateliers de La Villette. Là, sur un espace de deux hectares et demi, est installée une usine de réfection permanente du matériel et une réserve où 4 000 sortes d’objets différens sont empilés : lanternes ou bandages, balles de crin ou pièces de drap, jusqu’à des pyramides de fers à cheval. A voir ici les troncs de chêne et de hêtre numérotés, représentant 3 000 mètres cubes de bois de carrosserie, il semble que le « sapin » ne soit pas d’essence à justifier son appellation populaire.