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La Compagnie a toujours quelques centaines d’animaux employés temporairement aux champs : le labour est pour eux un repos. Sauf cette villégiature, le cheval d’omnibus ne change jamais de ligne ; cela lui couperait l’appétit. Il connaît sa ligne ; même avec un cocher ivre et incapable de tenir ses guides, il sait tourner là où il faut et s’arrête aux bureaux de lui-même.

Dans les voies honteusement étroites du centre, que nos édiles devraient songer à élargir, dans ces rues du Bac ou de Richelieu, par où le grand courant d’air parisien va d’une rive à l’autre de la Seine, ces lourds véhicules, roulant à toute vitesse, usent avec une adresse extrême du petit espace laissé libre, au milieu de la chaussée, par les rangées de voitures qui bordent le trottoir. Une prime spéciale est donnée aux cochers qui n’ont pas eu d’accident, pendant le mois ou le trimestre. Tous doivent, au reste, à la fin de l’apprentissage, subir plusieurs épreuves délicates : avant d’être admis à conduire au dehors, on les fait promener dans la cour des dépôts, où se trouvent exprès amoncelés des obstacles de différentes natures. Les tramways à chevaux, n’ayant de roues à boudin que d’un seul côté, sont, paraît-il, aussi difficiles à mener que les omnibus ; au lieu de bien ménager son passage, il faut prendre garde de dérailler.

Un syndicat d’employés a vitupéré la Compagnie sur ce qu’elle recrutait surtout son personnel en province ; les demandes des postulans, quelle que soit leur provenance, se comptent en tout cas par milliers. Des receveurs chargés d’opérer, par fractions de 15 et 30 centimes, une recette de 57 millions, la première qualité requise est la probité. Les fraudes sont fort rares. Un corps d’inspection secrète, qui coûte 86 000 francs par an, est chargé de les découvrir. Tantôt ces contrôleurs occultes, cheminant au long des rues, prêtent l’oreille à la sonnerie des voyageurs qui montent ; tantôt, nonchalamment installés sur les banquettes de l’omnibus en marche, ils suivent de l’œil les agissemens du conducteur, soupçonné de « distractions » trop fréquentes.

La comparaison du rendement moyen des voitures d’une même ligne décèle assez vite les indélicatesses : omission volontaire dans l’usage du cadran indicatif ; emploi de fausses clefs pour tourner ce cadran en sens inverse, avant le dernier bureau, afin de réduire le chiffre des voyageurs inscrits ; surcharges, à l’aide de poinçons simulés, sur les feuilles où se défalquent les