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charmante princesse Charlotte, si pleine de bonheur, de beauté, de magnifiques espérances, enlevée à l’amour de toute une nation ! Il est impossible de retrouver dans l’histoire des peuples ou des familles un événement qui ait causé des pleurs et un désespoir semblables à celui-ci. On voyait dans les rues des gens du peuple pleurer, les églises constamment remplies, les boutiques fermées pendant quinze jours, ce qui est plus éloquent encore pour une population marchande comme celle-ci ; enfin, tout, du premier jusqu’au dernier, dans une consternation qu’il est impossible de décrire. J’ai souffert plus que tout autre peut-être ; nous étions fort bien ensemble ; elle me montrait une amitié plus vive qu’à toute autre femme, et il était vraiment impossible de n’être pas touchée de ses excellentes qualités. Ce pauvre prince Léopold est dans un état à faire pitié. Le prince-régent aussi a senti ce coup avec beaucoup de force. »

Heureusement, l’arrivée du grand-duc Nicolas, héritier présomptif de la couronne de Russie, vient la distraire de son chagrin. Ce jeune prince parcourt l’Europe pour compléter son éducation. « Il plaît généralement et il est vraiment charmant. Je ne lui connais de défauts que sa manie des uniformes ; mais c’est seulement pour constater l’impossibilité de la perfection dans les hommes. Ses relations avec le prince-régent sont parfaites ; il y a le plus grand mérite lui-même, car ses manières sont toutes captivantes. Je lui ai montré chez moi ce qu’il y a de société à. Londres dans ce moment-ci ; il a beaucoup d’aisance dans les manières et il en faut pour encourager les gauches Anglais. Avec les femmes, il est fort timide ; mais, il a le goût bon et de la galanterie dans les manières. Il a réussi généralement et j’en suis toute glorieuse. Il est parti pour l’Ecosse et reviendra dans un mois pour passer un mois à Londres. Il a fait un grand dîner officiel chez nous avec le prince-régent ; mais les dîners l’ennuient et il préfère que je lui donne des soirées. »

Je me suis attardé à ces détails parce qu’ils permettent de se rendre compte de ce qu’était l’existence de notre ambassadrice cinq ans après son arrivée en Angleterre. Elle s’y plaisait autant qu’elle avait su y plaire, nulle femme de la société n’y étant, à un plus haut degré qu’elle, environnée d’attentions, de prévenances et d’hommages.