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seul l’attrait et le charme de son voyage. Elle est désolée d’être séparée de lui et de ne point savoir quand elle le retrouvera ; « elle l’identifie à toutes ses affections, » et à Brighton comme à Londres, la nuit et le jour, elle soupire : « S’il était ici !… » Mais, ses souvenirs, ses regrets, ses désirs, ses espérances, elle se garde bien de les confesser, d’en laisser rien paraître. Dans quelques rares lettres qu’elle parvient à expédier en Autriche, elle verse ses confidences. Il n’y en a pas dans celles qu’elle écrit à son frère. Le nom du « bien-aimé » n’est même pas prononcé, comme si elle craignait de trahir son secret, qu’elle croit bien caché, encore qu’à ce moment il commence à transpirer autour d’elle, à la faveur des commentaires qu’ont rapportés d’Aix-la-Chapelle les témoins des attentions que, durant le Congrès, lui a prodiguées Metternich. Non seulement, elle ne parle pas de lui ; mais, elle colore de prétextes la mélancolie qui s’est emparée d’elle depuis qu’elle l’a quitté.

«… J’ai mal commencé mon année, dit-elle le 2 mai, je suis indisposée presque depuis le moment de mon retour en Angleterre ; je crois en vérité que le petit bout d’air continental que j’ai respiré a refait ma nature à ce régime et que j’ai assez des brouillards de Londres. Quelle inconstance que cette humaine nature ! Je recevrais avec plaisir la nouvelle d’une autre place, mais, comme l’a dit Nesselrode lui-même, il n’y a que Paris et Vienne, et Paris, Dieu m’en garde et Dieu en garde aussi Paris ! Je crois qu’il y a puissance centrifuge entre nous. »

Puis, pour mieux voiler ce qui la préoccupe, et comme pour s’étourdir, elle entre en mille détails, qu’elle semble ne mettre là que pour remplir son papier :

« Mes enfans vont bien et apprennent avec ardeur. Le plus distingué d’entre eux, sans contredit, est Constantin. Il ne restera pas dans la nullité, bien sûr. Paul est le plus beau, il est aussi plein d’esprit. Londres va son train d’amusemens, et je m’en mêle par vocation, non par choix. Je m’ennuie assez communément, et un grand motif de consolation est de m’ennuyer avec Wellington. Il est fort vieilli de la vie de Londres. Il y a mouvement de corps et pas mouvement d’âme. Il ne peut pas s’y accoutumer. Ce que je dis là se rapporte entièrement à la société. Ensuite, lui, a par-dessus le marché le souvenir de tout ce qu’il était et de tout ce qu’il n’est plus, et il y a une grande différence du Wellington de l’Europe au Wellington de Londres. Je le vois