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Dans son enthousiasme pour lui, elle s’exprime avec indulgence pour le Roi, qu’au fond, elle méprise, mais qui a eu le mérite de confier le pouvoir à cet homme d’Etat. « Le Roi se porte à merveille, il jouit de son beau et bizarre pavillon[1], de sa bonne table et de sa musique bien bruyante, et de sa grosse marquise[2], dont il est un peu ennuyé. Nous avons dîné l’autre jour chez lui avec ses ministres, qu’il n’avait pas vus depuis deux mois, pas même le duc de Wellington. »

Sorti du pouvoir à l’arrivée de Canning, Wellington pousse, la mauvaise foi, en le combattant, jusqu’à désavouer les actes que lui-même avait accomplis comme ministre. Cette attitude accroît l’indignation de Mme de Liéven : « Le duc de Wellington poursuit sa carrière d’hostilités contre nous ; il a porté une grave atteinte à sa réputation. Sa conduite est mauvaise, perfide, et l’intention est avouée, celle d’embarrasser par le mal qu’il fait à son pays, pourvu qu’il culbute son rival Canning. Mais Canning restera. Le Roi se montre résolu à le soutenir, et voilà des occasions où un roi est beaucoup en Angleterre. » Elle enveloppe Metternich dans les mêmes ressentimens : « M. Canning marche avec nous. Les finesses autrichiennes ont mené loin M. De Metternich. Le voilà joliment planté ! Tant mieux. » — « Je crois, moi, que le Metternich homme d’esprit est mort, car il n’y a plus un brin de cela dans toute sa conduite. C’est un usurpateur de son nom qui s’est brouillé avec tout le monde, qui s’obstine dans toutes les erreurs politiques où l’a mené sa vanité. » Voilà un triste dénouement à d’ardentes amours.

La vive amitié qu’elle a professée pour Wellington subit le même sort. Au mois d’août 1827, une cruelle et longue maladie emporte Canning. C’est Wellington qui lui succède. « Nous venons de perdre Canning. Je dis nous, car la perte est vraiment individuelle ; je dis nous encore comme Russe, car il était le sincère allié de la Russie… Tout ce qui n’est pas metternichiste est dans la désolation. » — « Le duc de Wellington est toujours en froid avec moi. Il ne me pardonne par d’avoir préféré le ministre ami des Grecs au ministre ami des Turcs. » Et, comme la mort de Canning a ramené Wellington au pouvoir, elle ajoute : « Le Roi lui a bien rendu son poste, mais non sa faveur. » — « Le duc de Wellington est premier ministre, le

  1. La maison qu’il s’était fait construire à Brighton.
  2. La favorite, la marquise de Coningham.