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La querelle entre l’ambassadrice de Russie et le premier ministre d’Angleterre devait se prolonger longtemps encore. Il n’apparaît pas que le prince de Liéven y ait pris part. En lisant les lettres de sa femme, où son nom n’est jamais prononcé, on peut même se demander s’il en connaissait les péripéties et s’il approuvait les agitations dont elles témoignent. Nous sommes mieux renseignés en ce qui touche l’opinion qu’en avait l’empereur de Russie. Par l’intermédiaire du général de Benckendorff, l’ambassadrice le tenait au courant de tout. Là, l’approbation était entière et sans réserves, ainsi que le prouve ce billet de remerciemens : « Que je vous remercie, cher Alexandre, du petit mot galant, de bon goût et de bonne amitié que vous me redites de la part de l’Empereur ! Je suis touchée et heureuse de ce qu’il pense un moment à moi. Il me semble qu’il a raison. Voilà une exclamation qui part de mon cœur et de ma vanité ! »

Du reste, quelques mois auparavant, à l’occasion de la mort de sa belle-mère qui ouvrait pour elle la série des calamités et des deuils de cœur, elle avait reçu les preuves de la gratitude impériale et de la justice que le Tsar rendait à ses incessans et patriotiques efforts. C’est encore par une lettre d’elle que nous apprenons combien elle était sensible à ces manifestations de l’intérêt du maître. « Comment vous exprimer, cher Alexandre, tous les sentimens qui ont rempli mon cœur à la lecture de votre lettre du 2 et 14 mars ? Le respect touchant par lequel l’Empereur a honoré la mémoire de mon excellente belle-mère à l’occasion de ses obsèques, les larmes pieuses qu’il a répandues sur ses restes, cette recherche de délicatesse qui lui fait porter son souvenir jusque sur la femme de chambre de la princesse, tous ces détails qui marquent si vivement sa belle âme sont pour lui autant de titres aux bénédictions de Dieu et à celles de ses sujets. L’homme qui porte de tels sentimens dans son cœur mérite toutes les prospérités et les aura… J’ai reçu en pleurant la nouvelle qui me regarde : larmes de reconnaissance, larmes de souvenir pour cette bonne et incomparable femme dont l’Empereur me fait hériter les marques d’honneur[1]. La faveur est bien grande, la manière de l’accorder en rend le prix plus grand encore. Jamais honneur pareil ne fut reçu avec plus d’attendrissement ; je n’ai

  1. C’est à cette occasion qu’elle fut nommée dame d’honneur de l’Impératrice et reçut la survivance des fonctions de gouvernante honoraire des enfans impériaux. Elle exerça effectivement ces fonctions durant quelques mois en 1834.