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guirlandes de jasmin, est obligé à toute minute de l’effrayer, avec une draperie qu’il agite.

Il est mort depuis hier au soir, et, après l’avoir baigné, on l’a pieusement assis là, en pleine gloire du matin, dans la pose de prière qui fut la pose de toute sa vie. Et, en attachant sa tête, on l’a un peu renversée en arrière, pour qu’il pût mieux voir le soleil et le ciel.

Il ne sera point brûlé, car on ne brûle pas les yoghis, la sainteté de leurs actes ayant purifié suffisamment la matière de leur corps ; ce soir, on l’ensevelira tel quel dans un vase de terre qui sera descendu au fond du Gange. Et ce sont des saluts de félicitation, des complimens de fête, que chacun, avec une figure joyeuse, vient lui adresser, à ce bienheureux, qui, par ses mérites et son détachement de ce monde, est sans doute affranchi à jamais du cycle des réincarnations, délivré de l’abîme de la vie et de la mort.

Un chien s’approche, le flaire, et s’en va la queue basse. Trois oiseaux rouges s’approchent aussi et le regardent. Un singe descend, touche le bas de sa robe mouillée, puis remonte en courant jusqu’au sommet des escaliers. Et le jeune gardien les laisse faire, ne chassant avec impatience, — une impatience inusitée en ce pays où l’on supporte tout de la part des bêtes, — que le corbeau entêté, qui a senti la décomposition et qui revient toujours, frôlant presque de son aile noire le visage du bienheureux, extasié dans la mort.


IX. — CHEZ UN BRAHMINE, PRÈS DU TEMPLE D’OR

« Des choses hyperphysiques ?… Peut-être avons-nous des fakirs qui en ont obtenu jadis, ou même qui en obtiennent encore… Mais les penseurs de notre pays dédaignent de tels moyens pour convaincre… Non, la voie indienne est celle de la méditation profonde ; elle seule conduit à la certitude… »

L’homme qui me parle ainsi est un vieillard, un brahmine ; il porte le titre de Pandit, c’est-à-dire de savant en langue et en philosophie sanscrites, et je vois qu’il a pour le miracle le même dédain que les Sages de la petite maison du silence.

À l’heure du crépuscule, nous sommes assis pour causer sur la terrasse de son antique maison, au cœur de Bénarès. La terrasse est petite, triste et enclose ; on y monte par un escalier