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lande stérile. Et enfin voici le but de notre course ; c’est, au milieu d’un site pierreux, parmi des roches d’un gris sombre qui imitent des ruines, une sorte de cirque naturel, où des chèvres, en ce moment, paissent une herbe fine, au son du chalumeau de leur berger. Là, à l’ombre de grands arbres qui de loin ressemblent à nos chênes, se trouve un très vieux banc de pierre noircie, sur lequel le Pandit et moi, nous nous asseyons avec respect : le banc où Bouddha prit place, il y a un peu plus de deux mille ans, pour prêcher son premier sermon. Maintenant que le bouddhisme, depuis des siècles, a disparu d’ici et de tous les pays d’alentour, pour s’étendre vers l’Orient extrême, les Indiens ne fréquentent plus cette région, très sacrée jadis. Mais le vieux banc de pierre, malgré son apparence délaissée, joue encore un grand rôle dans des milliers de pieuses imaginations humaines ; on en rêve, de ce banc légendaire, dans d’incompréhensibles cervelles jaunes, écloses au fond de la Chine, ou des îles du Japon, ou des forêts du Siam ; et quelquefois des pèlerins de là-bas font à pied des centaines de lieues pour venir le baiser à genoux. Le Pandit et moi, nous y devisons de choses brahmaniques, au grand calme pastoral, dans la solitude charmante.

Et, non loin de ce banc si spécial, inspirateur d’antique et froide sagesse, s’élève une tour large comme une colline, en granit massif, qui fut très ouvragée en son temps, mais sur laquelle deux millénaires ont passé, usant les sculptures, installant du haut en bas les herbes et les broussailles sauvages : ce sont les restes du premier temple bouddhique, construit dans l’ancienne Bénarès. Sur les parois de l’énorme tour, à hauteur d’homme, presque toutes les saillies, toutes les pierres frustes sont dorées à l’or fin, et l’éclat en est étrange, imprévu dans cette vétusté extrême : des pèlerins chinois, annamites ou birmans, lorsqu’ils réalisent ce rêve de venir voir le banc et le temple, se font un devoir d’apporter, de leur patrie reculée, des feuilles d’or, et de les fixer là ; c’est leur hommage, — leur carte de visite, pourrait-on dire, — au vieux sanctuaire méconnu.

En rentrant à Bénarès, vers la fin de la journée, mon compagnon de promenade fait arrêter notre voiture devant la maison de campagne d’un de ses amis, noble brahmine comme lui, et savant en philosophie, en langue sanscrite. C’est pour m’y offrir des fruits et m’y faire boire de l’eau fraîche. (Lui-même, il va