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Le peu que je saurais dire ne pourrait que déséquilibrer, mener peut-être jusqu’aux terreurs du seuil, mais non plus loin.

D’ailleurs, pas plus que je n’ai découvert l’Inde, je ne prétends avoir découvert les Védas ; depuis quelques années, commencent à se répandre parmi nous des traductions, — encore bien incomplètes, il est vrai, — de ces écrits surhumains.

À mes frères inconnus, qui se comptent par légions au siècle où nous sommes, je veux donc seulement dire ceci : au fond des doctrines védiques, il y a plus de consolation qu’on ne le pense au premier abord ; et la consolation puisée là, au moins, n’est pas destructible par le raisonnement, comme celle des religions révélées.

Ce recueil des Védas, qui est l’œuvre, non pas d’un homme, mais de toute une race ; qui, à côté de choses transcendantes et merveilleuses, contient aussi tant d’obscurités, de contradictions, de naïvetés enfantines ; ce recueil, touffu comme la jungle et insondable comme le gouffre éternel, les Sages de Bénarès, qui l’étudient dans le recueillement sans trouble, sont peut-être les seuls capables de nous le rendre un peu accessible. Personne avant eux ne m’avait jamais entr’ouvert de tels abîmes, je n’avais entendu de telles paroles nulle part ; sur les mystères de la vie et de la mort, les Sages de Bénarès détiennent les réponses qui satisfont le mieux à l’interrogation ardente de la raison humaine ; et ils font passer devant vous de telles évidences, que l’on ne doute plus d’une continuation presque indéfinie de sa propre durée, au-delà des destructions terrestres.

Cependant, il ne faut pas s’approcher à la légère de la petite maison blanche, toujours si ouverte et accueillante dans son jardin de rosiers, car elle est avant tout l’asile du renoncement et de la mort ; on ne redevient jamais tout à fait soi-même, lorsqu’une fois on a été touché, si légèrement que ce fût, par la paix qui règne là. Et c’est une épreuve terrible que d’entrevoir, même de bien loin et de bien bas, Brahm l’absolu, qui réside au fond de l’abîme obscur ; le dieu sans rapport concevable avec l’univers manifesté ; Brahm l’essentiellement ineffable, Celui qui est au-delà de toute pensée, dont rien ne peut être dit, et qui ne s’exprime que var le silence.


PIERRE LOTI.